Читать книгу «Le Fils des Dragons» онлайн полностью📖 — Моргана Райс — MyBook.
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CHAPITRE QUATRE

Nerra s'agenouilla près des eaux de la fontaine du temple, parmi les os des morts qui y avaient bu avant elle. Au-dessus, les flancs du volcan semblaient la regarder avec colère, lui interdisant de tenter ce qu'elle s'apprêtait de faire. Elle contemplait, sur ses bras, les plaques aux zébrures sombres provoquées par la maladie de l'homme de la pierre.

Elle refusait de mourir comme Lina. Mieux valait boire à cette source mortelle qu'attendre que la maladie ne réclame son tribut, sur l'île où l'avait amenée son dragon. Voir mourir son amie était le catalyseur qui l'avait forcée à atteindre ce temple, jusqu'à la fontaine qu'elle avait promis de ne pas approcher à Kleos, le gardien de l'île.

Elle boirait de son eau. Elle but l'eau d'un long trait dans ses mains en coupe. Inutile de se contenter d'en boire une gorgée, le moindre contact avec cette eau était censé donner la mort.

Elle n'osait espérer que cela puisse signifier autre chose.

"Ils ne l'auraient pas appelé fontaine de guérison pour rien," dit Nerra à voix haute, comme pour s'en persuader. "Ils n'auraient pas construit tout ça."

Pourquoi édifier un temple en pleine nature si le seul but était de tuer ceux qui y venaient ? Pourquoi s'ennuyer avec une fontaine, ou avec cette étrange sensation qui semblait la repousser de ces lieux après avoir gravi les flancs du volcan ? Kleos, le gardien des malades, lui avait dit que boire signerait sa mort, que tout cela n'était qu'un moyen de laisser les individus atteints par la maladie du dragon s'éteindre à petit feu, Nerra espérait qu'il avait tort, qu'il mentait, ou les deux.

Ça devait marcher. Il fallait que ça marche.

Nerra se leva et contempla l'île autour d'elle, si proche du continent de Sarras, sans en faire toutefois totalement partie. Elle regarda le paysage volcanique déchiqueté qu'elle avait traversé, la forêt environnante. D'ici, elle n'apercevait pas le petit village qui essayait d'abriter les malades et les mourants, ceux que la maladie transformerait peu à peu en créatures monstrueuses ne connaissant que la faim et la mort. Ne valait-il pas mieux essayer, plutôt que demeurer assise à attendre le triste sort du couteau de Kleos, lorsque son corps serait trop informe ?

Nerra demeurait dans l'expectative, essayait d'imaginer l'eau faire son ouvrage. Aurait-elle déjà dû en ressentir les effets ? Elle connaissait suffisamment bien les herbes pour savoir que les effets étaient rarement instantanés, mais elle s'attendait à ce que les eaux curatives soient toutefois—

Nerra poussa un cri de douleur, une douleur si forte et dévorante qui la poussa à s'agenouiller de nouveau. Elle serra ses mains sur son ventre tandis que son corps se contorsionnait de douleur, ses cris se succédaient à un rythme si rapide qu'elle fut bientôt à bout de souffle.

Kleos n'avait pas menti ; la fontaine était empoisonnée. Nerra ressentait désormais les effets de l'eau, se frayer un chemin tel un serpent hérissé d'épines, brûler sa trachée comme si elle avalait du magma, et non de l'eau. Elle essaya de vomir, en pure verte ; elle n'arrivait pas à se dominer suffisamment pour y parvenir.

"Pitié …" cria Nerra.

Elle avait l'impression que son corps entier se déchirait, muscle après muscle, os après os. Comme si chaque centimètre carré de son corps luttait avec le reste, dans une guerre où son organisme était le champ de bataille, les guerriers et l'étendue stérile qu'elle laisserait derrière elle, une vie décimée.

"Non…" hurla Nerra. Elle songea, à cet instant précis, à tout ce qu'elle avait été contrainte de laisser derrière elle au Royaume du Nord, tout ce qu'elle ne reverrait plus jamais tandis que ces eaux mortelles se déchaînaient et précipitaient sa mort. Elle songea à ses frères et sœurs, à l'élégante Lenore et à Erin la rebelle, à Rodry, toujours prompt à se battre pour défendre autrui et à Greave, si calme et posé. Elle eut même une pensée pour Vars.

Mais elle songea par-dessus tout au dragon qu'elle avait découvert. Dans son esprit, il avait grandi incroyablement vite, ses écailles brillaient d'un reflet arc-en-ciel, ses larges ailes s'étendaient tandis qu'il s'envolait vers les cieux. L'image était si nette que Nerra leva les yeux, s'attendant presque à le voir dans le ciel, comme cela avait été le cas lorsque les bandits s'étaient emparés d'elle dans la forêt. Il l'avait amenée jusqu'ici, pourquoi aller ailleurs ?

Mais elle était seule ; plus seule que jamais. Dans la forêt, il y avait les animaux, un sentiment de paix. Maintenant… seule demeurait cette douleur qui la terrassait, la faisait se contorsionner, l'anéantissait. Nerra sentit son bras se briser et poussa un hurlement de douleur, les muscles de ses doigts se contractaient si violemment qu'ils lui brisèrent les os.

Elle avait dû s'évanouir de douleur, vit à nouveau le dragon, d'autres dragons, volant au-dessus de Sarras, des nuées obscurcissaient le ciel. Ils tournoyaient au-dessus d'elle, elle était parmi eux, se repaissant de cette myriade de couleurs, noir et rouge, or et émeraude, et bien plus encore.

Elle était au sol à présent, évoluait parmi les vestiges de bâtiments bien plus anciens que ceux existants au Royaume du Nord, des édifices comme surgis de terre, non bâtis de main humaine. Elle crut distinguer des silhouettes évoluer parmi ces bâtiments, ombres vacillantes au coin de ses yeux, mais elles se dispersaient à chaque fois qu'elle essayait de tourner la tête pour mieux voir, disparaissaient dans le lointain, impossibles à appréhender.

Nerra voulut les poursuivre mais elles se fondirent dans des tunnels aux parois qui semblaient se mouvoir et s'étirer au fur et à mesure que Nerra y pénétrait. Cette pierre vivante l'agrippait, l'attrapait et la pétrissait comme de l'argile jusqu'à ce que Nerra soit à bout de souffle, incapable de crier dans son rêve.

Elle fit la seule chose à laquelle elle ne s'attendait pas : elle se réveilla.

Il lui était impossible de dire combien de temps s'était écoulé. Le soleil était encore haut dans le ciel, mais une douzaine de jours auraient pu s'écouler sans que Nerra le sache. Son corps était encore tourmenté au souvenir de la douleur atroce que cette eau lui avait fait subir, elle se sentait si faible que…

Non ; elle ne se sentait pas faible. Elle avait soif, faim, était fatiguée, mais pas faible. Au contraire, elle se sentait forte. Elle se tenait debout, et pour la première fois depuis ce qui lui parut un long moment, n'éprouvait aucune sensation de vertige. Malgré cela, Nerra faillit tomber. Les muscles de ses jambes étaient … bizarres. Différents.

Même le monde autour d'elle paraissait autre, étrangement changé. Les couleurs semblaient avoir subtilement changé, comme si elle pouvait en voir plus, les odeurs de la forêt toute proche étaient si puissantes qu'elle pouvait presque les goûter.

Mais pour l'instant, cela n'avait pas d'importance. Elle avait survécu, c'est tout ce qui importait. Serait-ce à dire … qu'elle était guérie ? Que la fontaine l'avait guérie ?

Nerra osait à peine espérer que ce soit vrai, qu'elle ait survécu alors que tant d'autres avaient succombé, l'espoir commençait à renaître. Elle était bel et bien vivante, cette horrible sensation d'os brisés avait disparu. Si elle était entière, être guérie serait trop demander ?

Puis, Nerra vit son bras. Un bras humain, non pas tordu comme les hideuses créatures difformes atteintes de la maladie du dragon au village, mais entièrement recouvert d'écailles irisées d'un bleu profond. Les muscles se mouvaient sous sa peau désormais bien plus épaisse, Nerra regarda mieux et aperçut clairement, avec une netteté effroyable, des serres au bout de ses doigts.

Elle poussa un hurlement, en état de choc devant son bras désormais pourvu de serres, griffa ses écailles, ce qui ne fit qu'empirer les choses. Que lui arrivait-il, qu'était-elle devenue ? Elle avait l'impression de ne plus pouvoir respirer, cela n'avait rien à voir avec la maladie et tout avec l'étrangeté de la situation. Elle fit un pas en arrière et recula vers la vasque. C'était plus fort qu'elle ; elle devait se regarder.

La créature qui se reflétait dans l'eau n'avait rien à voir avec son apparence première, n'était pas la chose disloquée et tordue qu'elle avait tellement redouté devenir. Nerra la dévisagea de longues secondes, incapable de comprendre, l'horreur, le choc et une certaine fascination se disputaient ses faveurs.

Sa peau était couverte d'écailles, ses yeux, jaunes, semblables à ceux d'un serpent, ses traits avaient tout d'un dragon, une symétrie et une beauté indéniables habitaient pourtant son visage. Nerra refusait sa nouvelle apparence, et quand bien même, quelque chose lui rappelait la Nerra d'alors. Des réminiscences de ses cheveux étaient toujours présentes, les mèches sur son front semblables à la crête d'un lézard. Son corps plus musclé couvert d'écailles était capable de se mouvoir de façon sinueuse grâce aux nouvelles jointures de ses articulations, mais elle n'avait rien d'un monstre.

"Oui, je suis un monstre !" s'exclama-t-elle à haute voix, sa voix était la seule partie de son corps qui n'ait pas changé. C'était encore pire en quelque sorte, cela n'améliorait pas les choses. Comment cette partie d'elle pouvait demeurer, quand tout le reste était métamorphosé ? Une pensée lui vint à l'esprit, aucun membre de sa famille ne la reconnaîtrait désormais, elle avait tout perdu. Une fureur rapide, fulgurante, totale, s'empara d'elle, Nerra prit une pierre du temple et l'écrasa entre ses mains. Elle réalisa, ce faisant, la force que cette nouvelle apparence lui conférait.

Sa rage était omnipotente, Nerra la sentait écumer, bouillonner, s'emparer d'elle, la métamorphoser comme tous les individus au village, transformés en créatures dantesques. Nerra se révolta, refusait le choc, la douleur de la mutation qui sourdait en elle, refusait de devenir cette chose-. Elle se cramponna au bord de la vasque, contempla l'eau fixement, se força à regarder cette version modifiée, jusqu'à la limite du supportable.

La fontaine ne l'avait ni tuée ni guérie, mais métamorphosée. Elle avait agi comme le catalyseur de la transformation générée par la maladie, l'avait transcendée au-delà des silhouettes alambiquées qu'elle engendrait habituellement, pour devenir un être fluide et aérien, mi-homme, mi-saurien.

Nerra ne savait que penser, comment surmonter le choc de ce nouveau corps, ce qu'elle était devenue. Elle ne comprenait pas, ne savait que faire. Elle avait besoin de savoir ce qui se passait et ce qui lui était arrivé, un seul endroit s'imposa à elle pour obtenir des réponses, un endroit où ils la tueraient pour ce qu'elle était.

Nerra avança à grandes enjambées sur les pentes du volcan en direction du village.