Le silence régnait dans la grotte, seulement interrompu par le souffle irrégulier de Cyrus Smith, étendu sur le sol. Le regard perdu dans le vide, Nab semblait totalement absorbé par sa douleur, son visage marqué par le désespoir. Gédéon Spilett, après une longue observation, finit par se relever, l'air soulagé. «Il vit!» annonça-t-il d'une voix empreinte d'émotion. Un frisson parcourut l'échine de Pencroff et d'Harbert, tandis que le soulagement se lisait sur leur visage[14].
Pencroff, à son tour, s'approcha de l'ingénieur, la tension palpable dans l'air. Il écouta attentivement, puis déclara avec assurance: «Il vit, j'en suis sûr!» Harbert, les yeux brillants d'espoir, se précipita à l'extérieur pour chercher de l'eau.
Quelques instants plus tard, il revint, un mouchoir imbibé entre les mains, offrant le précieux liquide à Gédéon Spilett, qui entreprit de réanimer l'ingénieur. Les gestes étaient fébriles, empreints d'une urgence palpable, alors que chacun priait silencieusement pour que leur compagnon revienne à la vie.
Les minutes semblaient s'étirer à l'infini, jusqu'à ce qu'enfin, un soupir échappé des lèvres de Cyrus Smith brise le silence oppressant de la grotte. Les yeux embués d'émotion, Nab observait avec une intensité poignante le visage de son maître, cherchant le moindre signe de vie. Et enfin, ce fut le soulagement, alors que l'ingénieur remuait légèrement le bras, signe que la vie reprenait peu à peu ses droits.
«Nous le sauverons!» déclara le reporter, un sourire de soulagement illuminant son visage. Nab, épuisé par l'angoisse, sentit un frisson de soulagement le parcourir à ces mots. Il savait que la route vers la guérison serait longue, mais pour l'instant, l'important était que Cyrus Smith soit en vie[15].
Déshabillant son maître pour vérifier s'il était blessé, Nab fut surpris de constater l'absence de toute marque sur son corps. Malgré les épreuves traversées, l'ingénieur semblait miraculeusement intact. Mais les questions restaient en suspens, et seule la voix de Cyrus Smith pourrait éclairer les mystères qui entouraient son sauvetage.
Nab raconta alors ce qui s'était passé. La veille, après avoir quitté les Cheminées dès l'aube, il avait remonté la côte dans la direction du nord-nord et atteint la partie du littoral qu'il avait déjà visitée.
Nab avait cherché longtemps. Ses efforts demeurèrent infructueux.
«Je longeai la côte pendant deux milles encore, je visitai toute la ligne des écueils à mer basse, toute la grève à mer haute, et je désespérais de rien trouver, quand hier, vers cinq heures du soir, je remarquai sur le sable des empreintes de pas.
– Des empreintes de pas? s'écria Pencroff.
– Oui! répondit Nab. Quand je vis ces empreintes, je devins comme fou. Elles étaient très reconnaissables, et se dirigeaient vers les dunes. Je les suivis pendant un quart de mille, courant, mais prenant garde de les effacer. Cinq minutes après, comme la nuit se faisait, j'entendis les aboiements d'un chien. C'était Top, et Top me conduisit ici même, près de mon maître!»
Nab acheva son récit en disant quelle avait été sa douleur en retrouvant ce corps inanimé. Il avait essayé de surprendre en lui quelque reste de vie! Maintenant qu'il l'avait retrouvé mort, il le voulait vivant! Tous ses efforts avaient été inutiles! Il n'avait plus qu'à rendre les derniers devoirs à celui qu'il aimait tant!
Les compagnons de Nab avaient écouté ce récit avec une extrême attention. Il y avait pour eux quelque chose d'inexplicable à ce que Cyrus Smith, après les efforts qu'il avait dû faire pour échapper aux flots, en traversant les récifs, n'eût pas trace d'une égratignure[16]. Et ce qui ne s'expliquait pas davantage, c'était que l'ingénieur eût pu gagner, à plus d'un mille de la côte, cette grotte perdue au milieu des dunes.
Quelques mots s'échappèrent encore de la bouche de l'ingéneur, – mots qu'il avait déjà prononcés, sans doute, et qui indiquaient quelles pensées tourmentaient, même alors, son esprit. Ces mots furent compris, cette fois.
«Île ou continent? murmura-t-il.
– Ah! s'écria Pencroff, qui ne put retenir cette exclamation. De par tous les diables, nous nous en moquons bien, pourvu que vous viviez, monsieur Cyrus![17] Île ou continent? On verra plus tard.»
L'ingénieur fit un léger signe affirmatif, et parut s'endormir.
On respecta ce sommeil, et le reporter prit immédiatement ses dispositions pour que l'ingénieur fût transporté dans les meilleures conditions. Nab, Harbert et Pencroff quittèrent la grotte et se dirigèrent vers une haute dune couronnée de quelques arbres rachitiques.
À cinq heures et demie, la petite troupe arrivait au pan coupé, et, un peu après, devant les Cheminées. Tous s'arrêtèrent, et la litière fut déposée sur le sable. Cyrus Smith dormait profondément et ne se réveilla pas.
Pencroff eut comme un pressentiment qui lui traversa l'esprit. Il se précipita dans le couloir. Presque aussitôt, il en sortait, et demeurait immobile, regardant ses compagnons…
Le feu était éteint. Les cendres noyées n'étaient plus que vase. Le linge brûlé, qui devait servir d'amadou, avait disparu. La mer avait pénétré jusqu'au fond des couloirs, et tout bouleversé, tout détruit à l'intérieur des Cheminées!
Après avoir informé Gédéon Spilett, Harbert et Nab de la situation, les réactions de chacun étaient diverses. Nab, plein de joie d'avoir retrouvé son maître, ne prêtait guère attention aux inquiétudes de Pencroff. Harbert, lui, semblait partager quelque peu les craintes du marin. Quand le reporter entendit les paroles de Pencroff, il répondit simplement: «Pardonnez-moi, Pencroff, mais cela m'est égal! Pourtant, je vous rappelle que nous n'avons plus de feu! Peuh! Nous n'avons aucun moyen de l'allumer. Mais monsieur Spilett… Est-ce que Cyrus n'est pas là? Est-ce qu'il n'est pas vivant, notre ingénieur? Il trouvera bien le moyen de nous faire du feu, lui! – Et avec quoi? – Avec rien.» Pencroff aurait-il répondu? Il n'a pas eu à le faire, partageant en réalité la confiance de ses compagnons envers Cyrus Smith. Ils considéraient l'ingénieur comme un véritable génie, une source inépuisable de solutions. Même dans une situation aussi désespérée que celle-ci, ils avaient foi en lui.
Cependant, Cyrus Smith était encore plongé dans une prostration due à son transport et incapable d'utiliser son ingéniosité. Le souper s'annonçait maigre, avec aucune viande à cuire et les réserves de nourriture presque épuisées. Avant tout, Cyrus fut installé dans le couloir central pour se reposer, espérant que le sommeil réparateur lui rendrait des forces.
La nuit tomba et la température baissa considérablement. Les Cheminées devenaient peu habitables à cause des courants d'air dus à la destruction de certaines cloisons par la mer. Les compagnons de Cyrus s'occupèrent de le couvrir pour le protéger du froid.
Le souper se composa principalement de lithodomes et d'algues comestibles ramassées sur les rochers. Malgré la maigreur du repas, ils firent face à la situation avec résilience. Pencroff, cependant, était vexé de l'absence de feu. Malgré ses tentatives infructueuses pour l'allumer, il refusait de baisser les bras.
Après plusieurs échecs, Nab, Pencroff et Harbert essayèrent de chasser le gibier sans succès. Ils se retrouvèrent finalement devant un cabiai qu'ils réussirent à attraper après une brève lutte. Pencroff, triomphant, chargea l'animal sur son épaule et le groupe se mit en route de retour vers les Cheminées.
Ainsi qu'il l'avait fait la première fois, Pencroff établit rapidement un train de bois, bien que, faute de feu, cela lui semblât une besogne inutile, et, le train suivant le fil de l'eau, on revint vers les Cheminées.
Mais, le marin n'en était pas à cinquante pas qu'il s'arrêtait, poussait de nouveau un hurrah formidable, et, tendant la main vers l'angle de la falaise:
«Harbert! Nab! Voyez!» s'écriait-il.
Une fumée s'échappait et tourbillonnait au-dessus des roches!
Quelques instants après, les trois chasseurs se retrouvèrent autour d'un foyer flamboyant. Cyrus Smith et le reporter étaient déjà installés lorsque Pencroff se joignit à eux, tenant fermement le cabiai.
«Eh bien, oui, mon brave, s'écria le reporter. Du feu, du vrai feu, qui rôtira parfaitement ce magnifique gibier dont nous nous régalerons tout à l'heure!
– Mais qui a allumé?.. demanda Pencroff.
– Le soleil!»
La réponse de Gédéon Spilett était exacte. C'était le soleil qui avait fourni cette chaleur dont s'émerveillait Pencroff. Le marin ne voulait pas en croire ses yeux, et il était tellement ébahi, qu'il ne pensait pas à interroger l'ingénieur.
«Vous aviez donc une lentille, monsieur? demanda Harbert à Cyrus Smith.
– Non, mon enfant, répondit celui-ci, mais j'en ai fait une.»
Et il montra l'appareil qui lui avait servi de lentille. C'étaient tout simplement les deux verres qu'il avait enlevés à la montre du reporter et à la sienne. Après les avoir remplis d'eau et rendu leurs bords adhérents au moyen d'un peu de glaise[18], il s'était ainsi fabriqué une véritable lentille, qui, concentrant les rayons solaires sur une mousse bien sèche, en avait déterminé la combustion.
Impressionné, Pencroff demanda au reporter de tout noter. Pendant ce temps, le cabiai était préparé et bientôt grillé sur la broche.
Les Cheminées étaient redevenues plus accueillantes après les efforts de rénovation de Cyrus Smith et de ses compagnons. L'ingénieur, presque complètement rétabli, avait inspecté le mont qu'il prévoyait de gravir le lendemain, espérant ainsi résoudre le mystère de leur situation.
Le jour suivant, les explorateurs étaient prêts à partir. Armés de bâtons, ils quittèrent les Cheminées et traversèrent la forêt. À neuf heures, ils atteignirent la lisière ouest de la forêt, découvrant un sol légèrement incliné vers l'intérieur des terres.
Après une pause à dix heures, ils contemplèrent le mont composé de deux cônes, avec des contreforts et des vallées entre eux. Déterminés à atteindre leur objectif, ils continuèrent leur chemin vers le sommet, sans se laisser distraire par la faune ou la flore environnantes. Leur marche les amena à réfléchir sur leur situation et sur ce que leur réservait l'avenir.
À midi, ils firent une halte près d'un bosquet de sapins, se reposant et se restaurant avant de poursuivre leur ascension. Le terrain devint progressivement plus difficile alors qu'ils s'approchaient du premier plateau, mais leur détermination ne faiblit pas.
Vers quatre heures, ils atteignirent enfin le plateau du premier cône. Fatigués mais déterminés, ils organisèrent leur campement pour la nuit et se préparèrent à poursuivre leur exploration le lendemain.
Cyrus Smith, malgré la fatigue, entreprit une exploration nocturne du plateau circulaire pour déterminer la faisabilité de contourner le second cône. En compagnie de Harbert, il découvrit que contourner la montagne était impossible, mais ils trouvèrent une crevasse menant directement au sommet du cône.
À travers cette crevasse, ils poursuivirent leur ascension, constatant que le volcan était éteint depuis longtemps. En atteignant le sommet, ils furent accueillis par l'éclat des étoiles du ciel austral. De là-haut, ils observèrent l'horizon obscur, se demandant si cette terre inconnue était une île isolée ou rattachée à un continent lointain.
Une lueur sur l'horizon révéla la présence d'eau, confirmant qu'ils se trouvaient sur une île. La lune déclinante leur offrit un bref éclairage avant de disparaître, laissant dans l'obscurité la silhouette de l'île se dessiner contre l'océan.
Cyrus Smith, saisissant la main de Harbert, annonça solennellement: «Une île!», alors que le croissant lunaire se reflétait brièvement sur la surface de l'eau avant de s'éteindre.
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