Читать книгу «Les vacances / Каникулы. Книга для чтения на французском языке» онлайн полностью📖 — Софии де Сегюр — MyBook.
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III. Visite au moulin

«Je propose une grande promenade au moulin, par les bois, dit M. de Rugès. Nous irons voir la nouvelle mécanique établie par ma sœur de Fleurville, et pendant que nous examinerons les machines, vous autres enfants vous jouerez sur l’herbe, où l’on vous préparera un bon goûter de campagne: pain bis, crème fraîche, lait caillé[38], fromage, beurre et galette de ménage. Que ceux qui m’aiment me suivent![39]»

Tous l’entourèrent au même instant.

«Il paraît que tout le monde m’aime, reprit M. de Rugès en riant. Allons, marchons en avant!

– Hé, hé, pas si vite, les petits! Nous autres gens sages et essoufflés, nous serions trop humiliés de rester en arrière.»

Les enfants, qui étaient partis au galop, revinrent sur leurs pas et se groupèrent autour de leurs parents.

La promenade fut charmante, la fraîcheur du bois tempérait la chaleur du soleil; de temps en temps on s’asseyait, on causait, on cueillait des fleurs, on trouvait quelques fraises.

«Nous voici près du fameux chêne où j’ai laissé ma poupée, dit Marguerite; je n’oublierai jamais le chagrin que j’ai éprouvé lorsque, en me couchant, je me suis aperçue que ma poupée, ma jolie poupée, était restée dans le bois pendant l’orage.

– Quelle poupée? dit Jean; je ne connais pas cette histoire-là.

– Il y a longtemps de cela, dit Marguerite. La méchante Jeannette me l’avait volée.

JEAN

Jeannette la meunière?

MARGUERITE

Oui, précisément, et sa maman l’a bien fouettée, je t’assure; nous l’entendions crier à plus de deux cents pas.

JACQUES

Oh! raconte-nous cela, Marguerite. Voilà maman, papa, ma tante et mes oncles pour quelque temps; nous pouvons entendre ton histoire.»

Marguerite s’assit sur l’herbe, sous ce même chêne où sa poupée était restée oubliée par elle; elle leur raconta toute l’histoire et comment la poupée avait été retrouvée chez Jeannette, qui l’avait volée.

«Cette Jeannette est une bien méchante fille, dit Jacques, qui avait écouté avec une indignation croissante, les narines, gonflées, les yeux étincelants, les lèvres serrées. Je suis enchanté que sa maman l’ait si bien corrigée. Est-elle devenue bonne depuis?

SOPHIE

Bonne! Ah oui! C’est la plus méchante fille de l’école.

MARGUERITE

Maman dit que c’est une voleuse.

CAMILLE

Marguerite! Marguerite! Ce n’est pas bien, ce que tu dis là. Tu fais tort à une pauvre fille qui est peut-être honteuse et repentante de ses fautes passées.

MARGUERITE

Ni honteuse ni repentante, je t’en réponds.

CAMILLE

Comment le sais-tu?

MARGUERITE

Parce que je vois bien à son air impertinent, à son nez en l’air[40] quand elle passe devant nous, parce qu’à l’église elle se tient très mal, elle se couche sur son banc, elle bâille, elle cause, elle rit; et puis elle a un air faux et méchant.

MADELEINE

Cela, c’est vrai, je l’ai même dit à sa mère.

LÉON

Et que lui a dit la mère Léonard?

MADELEINE

Rien, je pense, puisqu’elle a continué comme avant.

SOPHIE

Et tu ne dis pas que la mère t’a répondu: «Qu’est-ce que ça vous regarde, mam’selle?[41] Je ne me mêle pas de vos affaires: ne vous occupez pas des nôtres.»

JEAN

Comment! elle a osé te répondre si grossièrement? Si j’avais été là, je l’aurais joliment rabrouée[42] et sa Jeannette aussi.

MADELEINE, souriant

Heureusement que tu n’étais pas là. La mère Léonard se serait prise de querelle[43] avec toi et t’aurait dit quelque grosse injure.

JEAN

Injure! Ah bien! je lui aurais donné une volée de coups de poing et de coups de pied; je suis fort sur la savate[44], va! Je l’aurais mise en marmelade[45] en moins de deux minutes.

LÉON, levant les épaules

Vantard, va! C’est elle qui t’aurait rossé[46].

JEAN

Rossé! moi! veux-tu que je te fasse voir si je sais donner une volée en moins de rien?»

Et Jean se lève, ôte sa veste et se met en position de bataille. Jacques lui offre de lui servir de second.

Tous les enfants se mettent à rire. Jean se sent un peu ridicule, remet son habit et rit de lui-même avec les autres. Léon persifle Jacques, qui riposte en riant; Marguerite le soutient; Léon commence à devenir rouge et à se fâcher. Camille, Madeleine, Sophie et Jean se regardent du coin de l’œil et cherchent par leurs plaisanteries à arrêter la querelle commençante; leurs efforts ne réussissent pas; Jacques et Marguerite taquinent Léon, malgré les signes que leur sont Camille et Madeleine.

Léon se lève et veut chasser Jacques, qui, plus leste que lui, court, tourne autour des arbres, lui échappe toujours et revient toujours à sa place. Léon s’essuie le front, il est en nage et tout à fait en colère.

«Viens donc m’aider, dit-il à Jean. Tu es là comme un grand paresseux à me regarder courir.

JEAN

À ton aide, pour quoi faire?

LÉON

Pour attraper ce mauvais gamin, pardi[47]!

JEAN, froidement

Et après?

LÉON

Après…, après…, pour m’aider à lui donner une leçon.

JEAN, de même

Une leçon de quoi?

LÉON

De respect, de politesse pour moi, qui ai presque le double de son âge.

JEAN

De respect! Ha! ha! ha! Quel homme respectable tu fais en vérité!

MARGUERITE

Ne faudrait-il pas que nous nous prosternassions devant toi?[48]

JEAN

Dans tous les cas, lors même que Jacques t’aurait offensé, je serais honteux de me mettre avec toi contre lui, pauvre petit qui a, comme tu le dis très bien, la moitié de ton âge. Ce serait un peu lâche, dis donc, Léon, comme trois ou quatre contre un?

LÉON

Tu es ennuyeux, toi, avec tes grands sentiments, ta sotte générosité.

JEAN

Tu appelles grands sentiments et générosité que deux grands garçons de treize ans et de onze ans ne se réunissent pas pour battre un pauvre enfant de sept ans qui ne leur a rien fait?

LÉON

Ce n’est rien, de me taquiner comme il le fait depuis un quart d’heure?

JEAN

Ah bah! Tu l’as taquiné aussi. Défends-toi tout seul. Tant pis pour toi, s’il est plus fort que toi à la course et au coup de langue.»

Jacques avait écouté sans mot dire. Sa figure intelligente et vive laissait voir tout ce qui se passait en son cœur de reconnaissance et d’affection pour Jean, de regret d’avoir blessé Léon. Il se rapprocha petit à petit, et au dernier mot de Jean il fit un bond vers Léon et lui dit:

«Pardonne-moi, Léon, de t’avoir fâché; j’ai eu tort, je le sens; et j’ai entraîné Marguerite à mal faire, comme moi; elle en est bien fâchée, comme moi aussi: n’est-ce pas, Marguerite?

MARGUERITE

Certainement, Jacques, j’en suis bien fâchée; et Léon voudra bien nous excuser en pensant que, toi et moi étant les plus petits, nous nous sentons les plus faibles, et qu’à défaut de nos bras nous cherchons à nous venger par notre langue des taquineries des plus forts.»

Léon ne dit rien, mais il donna la main à Marguerite, puis à Jacques.

Les papas et les mamans, qui étaient assis et causaient plus loin, se levèrent pour continuer la promenade. Les enfants les suivirent; Jacques s’approcha de Jean et lui dit avec tendresse:

«Jean, je t’aime, et je t’aimerai toujours.

MARGUERITE

Et moi aussi, Jean, je t’aime, et je te remercie d’avoir défendu mon cher Jacques contre Léon.»

Et elle ajouta tout bas à l’oreille de Jean: «Je n’aime pas Léon».

Jean sourit, l’embrassa et lui répondit tout bas:

«Tu as tort; il est bon, je t’assure.

MARGUERITE

Il fait toujours comme s’il était méchant.

JEAN

C’est qu’il est vif, il ne faut pas le fâcher.

MARGUERITE

Il se fâche toujours.

JEAN

Avoue que, Jacques et toi, vous vous amusez à le taquiner.»

Jacques et Marguerute se regardèrent, sourirent, et avouèrent que Léon les agaçait avec son air moqueur, et qu’ils aimaient à le contrarier[49].

«Eh bien, dit Jean, essayez de ne pas le contrarier, et vous verrez qu’il ne se fâchera pas et qu’il ne sera pas méchant.»

Tout en causant, on approcha du moulin; les enfants virent avec surprise une foule de monde assemblée tout autour; une grande agitation régnait dans cette foule; on allait et venait, on se formait en groupes, on courait d’un côté, on revenait avec précipitation de l’autre. Il était clair que quelque chose d’extraordinaire se passait au moulin.

« Serait-il arrivé un malheur, et d’où peut venir cette agitation? dit Mme de Rosbourg.

– Approchons, nous saurons bientôt ce qui en est», répondit Mme de Fleurville.

Les enfants regardaient d’un œil curieux et inquiet. En approchant on entendit des cris, mais ce n’étaient pas des cris de douleur, c’étaient des explosions de colère, des imprécations, des reproches. Bientôt on put distinguer des uniformes de gendarmes; une femme, un homme et une petite fille se débattaient contre deux de ces braves militaires qui cherchaient à les maintenir. La petite fille et sa mère poussaient des cris aigus et lamentables; le père jurait, injuriait tout le monde. Les gendarmes, tout en y mettant la plus grande patience, ne les laissaient pas échapper. Bientôt les enfants purent reconnaître le père Léonard, sa femme et Jeannette.

«Voyons, ma bonne femme, laissez-vous faire, ne nous obligez pas à vous garrotter[50]! disait un gendarme. N’y a pas à dire, nous avons ordre de vous amener: il faudra bien que vous veniez. Le devoir avant tout.

MÈRE LÉONARD

Plus souvent que je viendrai, gueux de gendarmes[51], tueurs du pauvre monde! Pas si bête que de marcher vers la prison, où vous me laisseriez pourrir jusqu’au jugement dernier.

LE GENDARME

Allons, mère Léonard, soyez raisonnable; donnez le bon exemple à votre fille.

MÈRE LÉONARD

Je m’en moque bien[52], de ma fille. C’est elle, la sotte, l’imbécile, qui nous a fait prendre. Faites-en ce que vous voudrez, je n’en ai aucun souci.

– Vas-tu me laisser, grand fainéant[53]? criait le père Léonard à un autre gendarme qui le tenait au collet. Attends que je t’aplatisse d’un croc-en-jambe, filou, bête brute!»

Les gendarmes ne répondaient pas à ces invectives[54] et à bien d’autres injures que nous passons sous silence. Voyant que leurs efforts pour faire marcher les prisonniers étaient vains, ils firent signe à un troisième gendarme. Celui-ci tira de sa poche un paquet de petites courroies[55]. Malgré les cris perçants de Jeannette et de sa mère et les imprécations du père, les gendarmes leur lièrent les mains, les pieds, et les assirent ainsi garrottés sur un banc, pendant que l’un d’eux allait chercher une charrette pour les transporter à la prison de la ville.

Mme de Fleurville et ses compagnes étaient restées un peu à l’écart avec les enfants. MM. de Rugès et de Traypi s’étaient approchés des gendarmes pour savoir la cause de cette arrestation. Léon et Jean les avaient suivis.

«Pourquoi arrêtez-vous la famille Léonard, gendarmes? demanda M. de Rugès. Qu’ont-ils fait?

– C’est pour vol, monsieur, répondit poliment le gendarme en touchant son chapeau; il y a longtemps qu’on porte plainte contre eux, mais ils sont habiles; nous ne pouvions pas les prendre. Enfin, l’autre jour, au marché, la petite s’est trahie et nous a mis sur la voie.

M. DE RUGÈS

Comment cela?

LE GENDARME

Il paraîtrait qu’ils ont volé une pièce de toile[56] qui était à blanchir sur l’herbe. Ils l’ont cachée dans leur huche à pain, sous de la farine: mais, dans la nuit, la petite s’est dit: «Puisque mon père et ma mère ont volé la toile de la femme Martin, je puis bien aussi leur en voler un morceau; ça fait que j’aurai de quoi acheter des gâteaux et des sucres d’orge.» La voilà qui se lève et qui en coupe un bon bout. C’était la veille du marché. Le lendemain, la petite se dit: «Ce n’est pas tout d’avoir la toile, il faut encore que je la vende.» Et la voilà qui, sans rien dire à père et mère, part pour le marché et offre sa toile à la fille Chartier. «Combien en as-tu? lui dit la fille Chartier. «– J’en ai bien six mètres, de quoi faire deux chemises, répond la petite Léonard. – Combien que tu veux la vendre? – Ah! pas cher, je vous la donnerai bien pour une pièce de cinq francs. – Tope là[57], et je te la prends; tiens, voilà la pièce et donne-moi la toile.» Les voici bien contentes toutes les deux, la petite Léonard d’avoir cinq francs, la fille Chartier d’avoir de quoi faire deux chemises et pas cher. Mais, quand elle la rapporte chez elle, qu’elle la montre à sa mère et qu’elle la déploie pour mesurer si le compte y est, ne voilà-t-il pas que la farine s’envole de tous côtés; la chambre en était blanche; la mère et la fille Chartier étaient tout comme des meunières. «Qu’est-ce que c’est que ça? disent-elles. Cette toile a donc été blanchie à la farine? Faut la secouer. Viens, Lucette, secouons-la dans la rue; ce sera bien vite fait.» Les voilà qui secouent devant leur porte, quand passe la mère Martin. «Où allez-vous donc, que vous avez l’air si affairée? lui demanda la mère Chartier. – Ah! je vais porter plainte à la gendarmerie: on m’a volé ma belle pièce de toile cette nuit. Faut que je tâche de la rattraper. – Et moi je viens d’en acheter un bout qui n’est pas cher, dit la mère Chartier. – Tiens, dit l’autre en la regardant, mais c’est tout comme la mienne. Qu’est-ce que vous lui faites donc à votre toile? – Je la secoue; elle était si pleine de farine que nous en étions aveuglées, Lucette et moi. – Tiens, tiens! de la toile enfarinée? Mais où donc l’avez-vous eue? – C’est la petite Léonard qui me l’a vendue comme ça. – La petite Léonard? Où a-t-elle pu avoir de la toile aussi fine?… Mais!… laissez-moi donc voir le bout; cela ressemble terriblement à la mienne.» La mère Martin prend la toile, l’examine, arrive au bout et reconnaît une marque qu’elle avait faite à sa pièce. Les voilà toutes trois bien étonnées: la mère Martin bien contente d’être sur la piste de sa toile; la mère Chartier bien attrapée d’avoir donné sa pièce de cinq francs pour un bout de toile qui était volée; elles arrivent toutes trois chez moi et me racontent ce qui vient d’arriver. «Toute votre toile y est-elle? je dis à la femme Martin. – Pour ça non! répond-elle. Il y en avait près de cinquante mètres. – Alors il faut tâcher de ravoir les quarante-quatre mètres qui vous manquent, mère Martin. Laissez-moi faire; je crois bien que je vous les retrouverai. Nous allons bien surveiller le marché; si la femme ou le père Léonard y apporte votre toile, je les arrête; s’ils n’y viennent pas ou qu’ils y viennent avec rien que leurs sacs de farine, j’irai demain avec mes camarades faire une reconnaissance au moulin. Puisque c’est la petite Léonard qui vous en a vendu un bout, c’est que l’autre bout est au moulin. – Mais si elle la vend à quelque voisin? dit la mère Martin. – N’ayez pas peur, ma bonne femme, elle n’osera pas; tout le monde chez vous sait que votre toile est volée. – Je crois bien qu’on le sait, dit la mère Martin, je l’ai dit à tout le village, et j’ai envoyé mon garçon et ma petite le dire partout dans les environs, de crainte qu’elle ne soit vendue par là. – Vous voyez bien qu’il n’y a pas de danger», que je lui réponds. Et je me mets en quête[58]