Читать книгу «Les vacances / Каникулы. Книга для чтения на французском языке» онлайн полностью📖 — Софии де Сегюр — MyBook.
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Léon a raison; retournons à nos cabanes, qui ne sont pas trop avancées; tâchons de rattraper Jacques, qui est le plus petit et qui a bien plus travaillé que nous.

JEAN

C’est précisément ce que je ne peux comprendre, Sophie, toi qui travailles avec lui, dis-moi donc comment il se fait[29] que vous ayez fait l’ouvrage de deux hommes, tandis que nous avons à peine[30] enfoncé les piquets de notre maison.

SOPHIE, embarrassée

Mais…, je ne sais,… je ne peux pas savoir.

MARGUERITE, vivement

C’est tout bonnement parce que nous sommes très bons ouvriers, très actifs, que nous ne perdons pas une minute, que nous travaillons comme des nègres.

MADELEINE

Savez-vous, mes amis, ce que nous faisons, nous autres? Nous ne faisons rien et nous perdons notre temps. Je suis sûre que Jacques est à l’ouvrage pendant que nous nous demandons comment il a fait pour tant avancer.

– Alons voir, allons voir, s’écrièrent tous les enfants, à l’exception de Marguerite et de Sophie.

– Il faut d’abord ranger nos lignes et nos hameçons, dit Sophie en les retenant.

– Et porter nos poissons à la cuisine dit Marguerite.

LÉON, d’un air moqueur et contrefaisant la voix de Marguerite

Et puis les faire cuire nous-mêmes, pour donner à Jacques le temps de finir.

JEAN, riant

Attendez, je vais voir où il est.»

Et il voulut partir en courant, mais Sophie et Marguerite se jetèrent sur lui pour l’arrêter. Jean se débattait doucement en riant; Camille et Madeleine accoururent pour lui venir en aide. Marguerite se jeta à terre et saisit une des jambes de Jean.

«Arrête-le, arrête-le; prends lui l’autre jambe», cria-t-elle à Sophie. Mais Camille et Madeleine se précipitèrent sur Sophie, qui riait si fort qu’elle n’eut pas la force de les repousser. Marguerite, tout en riant aussi, s’était accrochée aux pieds de Jean, qui lui aussi, riait tellement qu’il tomba le nez sur l’herbe. Sa chute ne fit qu’augmenter la gaieté générale; Jean riait aux éclats, étendu tout de son long sur l’herbe; Marguerite, tombée de son côté, riait le nez sur la semelle de Jean. Leur ridicule attitude faisait rire aux larmes Sophie, maintenue par Camille et Madeleine, qui se roulaient à force de rire. L’air brave de Léon redoubla leur gaieté. Il se tenait debout auprès des poissons et demandait de temps en temps d’un air mécontent: «Aurez-vous bientôt fini? En avez-vous encore pour longtemps?»

Plus Léon prenait l’air digne et fâché, plus les autres riaient. Leur gaieté se ralentit enfin; ils eurent la force de se relever et de suivre Léon, qui marchait gravement, accompagné d’éclats de rire et de gaies plaisanteries. Ils approchèrent ainsi du petit bois où l’on construisait les cabanes, et ils entendirent distinctement des coups de marteau si forts et si répétés qu’ils jugèrent impossible qu’ils fussent donnés par le petit Jacques[31].

«Pour le coup, dit Jean en s’échappant et en entrant dans le fourré, je saurai ce qu’il en est!

Sophie et Marguerite s’élancèrent par le chemin qui tournait dans le bois en criant: «Jacques! Jacques! garde à toi!» Léon courut de son côté et arriva le premier à l’emplacement des maisonnettes; il n’y avait personne, mais par terre étaient deux forts maillets, des clous, des chevilles, des planches, etc.

«Personne, dit Léon; c’est trop fort; il faut les poursuivre. À moi, Jean, à moi!»

Et il se précipita à son tour dans le fourré. Au bout de quelques instants[32] on entendit des cris partis du bois: «Le voilà! le voilà! il est pris! – Non, il s’échappe! – Atrape-le! à droite! à gauche!»

Sophie, Marguerite, Camille, Madeleine, écoutaient avec anxiété, tout en riant encore. Elles virent Jean sortir du bois, échevelé, les habits en désordre. Au même instant, Léon en sortit dans le même état, demandant à Jean avec empressement:

«L’as-tu vu? Où est-il? Comment l’as-tu laissé aller?[33]

– Je l’ai entendu courir dans le bois[34], répondit Jean, mais, de même que toi, je n’ai pu le saisir ni même l’apercevoir.»

Pendant qu’il parlait, Jacques, rouge, essoufflé, sortit aussi du bois et leur demanda d’un air malin ce qu’il y avait, pourquoi ils avaient crié et qui ils avaient poursuivi dans le bois.

LÉON, avec humeur

Fais donc l’innocent, rusé que tu es. Tu sais mieux que nous qui nous avons poursuivi et par quel côté il s’est échappé.

JEAN

J’ai bien manqué de le prendre tout de même; sans Jacques qui est venu me couper le chemin dans un fourré, je l’aurais empoigné.

LÉON

Et tu lui aurais donné une bonne leçon, j’espère.

JEAN

Je l’aurais regardé, reconnu, et je vous l’aurais amené pour le faire travailler à notre cabane. Allons, mon petit Jacques, dis-nous qui t’a aidé à bâtir si bien et si vite ta cabane. Nous ferons semblant de ne pas le savoir, je te le promets.

JACQUES

Pourquoi feriez-vous semblant?

JEAN

Pour qu’on ne te reproche pas d’être indiscret.

JACQUES

Ha! ha! vous croyez donc que quelqu’un a eu la bonté de m’aider, que ce quelqu’un serait fâché si je vous disais son nom, et tu veux, toi Jean, que je sois lâche et ingrat, en faisant de la peine à celui qui a bien voulu se fatiguer à m’aider?

LÉON

Ta, ta, ta, voyez donc ce beau parleur de sept ans! Nous allons bien te forcer à parler, tu vas voir.

JEAN

Non, Léon, Jacques a raison; je voulais lui faire commettre une mauvaise action, ou tout au moins une indiscrétion.

LÉON

C’est pourtant ennuyeux d’être joué par un gamin.

SOPHIE

N’oublie pas, Léon, que tu l’as défié, que tu t’es moqué de lui et qu’il avait le droit de te prouver....

LÉON

De me prouver quoi?

SOPHIE

De te prouver… que…, que....

MARGUERITE, avec vivacité

Qu’il a plus d’esprit que toi et qu’il pouvait te jouer un tour innocent, sans que tu aies le droit de t’en fâcher.

LÉON, piqué

Aussi[35] je ne m’en fâche pas, mesdemoiselles; soyez assurées que je saurai respecter l’esprit et la sagesse de votre protégé.

MARGUERITE, vivement

Un protégé qui deviendra bientôt un protecteur.

JACQUES, à Marguerite avec vivacité

Et qui ne se mettra pas derrière toi quand il y aura un danger à courir.

LÉON, avec colère

De quoi et de qui veux-tu parler, polisson?

JACQUES, vivement

D’un poltron et d’un égoïste.»

Camille, craignant que la dispute ne devînt sérieuse, prit la main de Léon et lui dit affectueusement:

«Léon, nous perdons notre temps; et toi, qui es le plus sage et le plus intelligent de nous tous, dirige-nous pour notre pauvre cabane si en retard, et distribue à chacun de nous l’ouvrage qu’il doit faire.

– Je me mets sous tes ordres», s’écria Jacques, qui regrettait sa vivacité.

Léon, que la petite flatterie de Camille avait désarmé, se sentit tout à fait radouci par la déférence de Jacques, et, oubliant la parole trop vive que celui-ci venait de prononcer, il courut aux outils, donna à chacun sa tâche, et tous se mirent à l’ouvrage avec ardeur. Pendant deux heures ils travaillèrent avec une activité digne d’un meilleur sort; mais leurs pièces de bois ne tenaient pas bien, les planches se détachaient, les clous se tordaient. Ils recommençaient avec patience et courage le travail mal fait, mais ils avançaient peu. Le petit Jacques semblait vouloir racheter ses paroles par un zèle au-dessus de son âge. Il donna plusieurs excellents conseils, qui furent suivis avec succès. Enfin, fatigués et suants, ils laissèrent leur maison jusqu’au lendemain, après avoir jeté un regard d’envie sur celle de Jacques déjà presque achevée. Jacques, qui avait semblé mal à l’aise depuis la querelle, les quitta pour rentrer, disait-il, et il alla droit chez son père, qui le reçut en riant.

M. DE TRAYPI

Eh bien, mon Jacquot, nous avons été serrés de près! J’ai bien manqué d’être pris! si tu ne t’étais pas jeté entre le fourré où j’étais et Jean, il m’aurait attrapé tout de même. C’est égal, nous avons bien avancé la besogne; j’ai demandé à Martin de tout finir pendant notre dîner, et demain ils seront bien surpris de voir que ton ouvrage s’est fait en dormant.

– Oh! non, papa, je vous en prie, dit Jacques en jetant ses petits bras autour du cou de son père. Laissez ma maison et faites finir celle de mes pauvres cousins.

– Comment! dit le père avec surprise, toi qui tenais tant à attraper Léon (il l’a mérité, il faut l’avouer), tu veux que je laisse ton ouvrage pour faire le sien!

JACQUES

Oui, mon cher papa, parce que j’ai été méchant pour lui, et cela me fait de la peine de le taquiner, depuis qu’il a été bon pour moi: car il pouvait et devait me battre pour ce que je lui ai dit, et il ne m’a même pas grondé.»

Et Jacques raconta à son papa la scène qui avait eu lieu au jardin.

M. DE TRAYPI

Et pourquoi l’as-tu accusé d’égoïsme et de poltronnerie, Jacques? Sais-tu que c’est un terrible reproche? Et en quoi l’a-t-il mérité?

JACQUES

Vous savez, papa, que le matin, lorsque nous nous sommes sauvés et cachés dans le bois, Camille et Madeleine, nous entendant remuer, ont cru que c’étaient des loups ou des voleurs. Jean s’est jeté devant elles, et Léon s’est mis derrière, et je voyais à travers les feuilles, à son air effrayé, que, si nous bougions encore, il se sauverait, au lieu d’aider Jean à les secourir. C’est cela que je voulais lui reprocher, papa, et c’était très méchant à moi, car c’était vrai.

M. DE TRAYPI, l’embrassant en souriant

Tu es un bon petit garçon, mon petit Jacquot; ne recommence pas une autre fois; et moi je vais faire finir leur maison pour être de moitié dans ta pénitence.»

Jacques embrassa bien fort son papa et courut tout joyeux rejoindre ses cousins, cousines et amies, qui s’amusaient tranquillement sur l’herbe.

Le lendemain, quand les enfants, accompagnés cette fois de Sophie et de Marguerite, allèrent à leur jardin surprise de les voir toutes deux entièrement finies, et même ornées de portes et de fenêtres! Ils s’arrêtèrent tout stupéfaits. Sophie, Jacques et Marguerite les regardaient en riant.

«Comment cela s’est-il fait? dit enfin Léon. Par quel miracle notre maison se trouve-t-elle achevée?

– Parce qu’il était temps de faire finir une plaisanterie qui aurait pu mal tourner, dit M. de Traypi sortant de dedans le bois. Jacques m’a raconté ce qui s’était passé hier, et m’a demandé de vous venir en aide comme je l’avais fait pour lui dès le commencement. D’ailleurs, ajouta-t-il en riant, j’ai eu peur d’une seconde poursuite comme celle d’hier. J’ai eu toutes les angoisses d’un coupable. Deux fois j’ai été à deux pas de mes poursuivants. Toi, Jean, tu me premais, sans la présence de Jacques, et toi, Léon, tu m’as effleuré en passant près d’un buisson où je m’étais blotti.

JEAN

Comment, c’est vous, mon oncle, qui nous avez fait si bien courir? Vous pouvez vous vanter d’avoir de fameuses jambes, de vraies jambes de collégien.

M. DE TRAYPI, riant

Ah! c’est qu’au temps de ma jeunesse je passais pour le meilleur, le plus solide coureur de tout le collège. Il m’en reste quelque chose.»

Les enfants remercièrent leur oncle d’avoir fait terminer leurs maisons. Léon embrassa le petit Jacques, qui lui demanda tout bas pardon. «Tais-toi, lui répondit Léon, rougissant légèrement: ne parlons plus de cela.» C’est que Léon sentait que l’observation de Jacques avait été vraie. Et il se promit de ne plus la mériter à l’avenir.

Il s’agissait maintenant de meubler les maisons; chacun des enfants demanda et obtint une foule de trésors, comme tabourets, vieilles chaises, tables de rebut, bouts de rideaux, porcelaines et cristaux ébréchés[36]. Tout ce qu’ils pouvaient attraper était porté dans les maisons.

«Venez voir, criait Léon, le beau tapis que nous avons sous notre table.

– Et nous, au lieu de tapis, nous avons une toile cirée, répondait Sophie.

– Venez essayer notre banc: il est aussi commode que les fauteuils du salon, disait Jean.

– Venez voir notre armoire pleine de tasses, de verres et d’assiettes, disait Marguerite.

– Voyez notre coffre plein de provisions: il y a des confitures, du sucre, des biscuits, des cerises, du chocolat, disait Camille.

– Et voyez comme nous avons été gens sages, nous autres, disait Jacques; pendant que vous nous faites mal au cœur avec vos sucreries, nous nous fortifions l’estomac avec nos provisions: pain, fromage, jambon, beurre, œufs, vin.

– Ah! tant mieux, s’écria Madeleine; lorsque nous vous inviterons à déjeuner ou à goûter, vous apporterez le salé et nous le sucré.»

Chaque jour ajoutait quelque chose à l’agrément des cabanes; M. de Rugès et M. de Traypi s’amusaient à les embellir au-dedans et au-dehors. À la fin des vacances elles étaient devenues de charmantes maisonnettes; l’intervalle des planches avait été bouché avec de la mousse au-dedans comme au-dehors; les fenêtres étaient garnies de rideaux; les planches qui formaient le toit avaient été recouvertes de mousse, rattachée par des bouts de ficelle pour que le vent ne l’emportât pas[37]. Le terrain avait été recouvert de sable fin. Quand il fallut se quitter, les cabanes entrèrent pour beaucoup dans les regrets de la séparation. Mais les vacances devaient durer près de deux mois: on n’était encore qu’au troisième jour et l’on avait le temps de s’amuser.