Bloqué dans un tombeau avec un dragon à l'extérieur et les Forces Obscures non loin, Renard s'était déjà retrouvé dans des situations bien pires. Il ne savait pas vraiment s'ils étaient là mais savait que tel était certainement le cas.
En théorie, bien sûr, il pouvait simplifier la chose : attendre que le dragon parte, et sortir ensuite rejoindre les Forces Obscures. Tout ce qu'il avait à faire serait leur remettre l'amulette qui, en ce moment-même, pompait toute son énergie comme l'aurait fait un réservoir percé.
Mais il ne pouvait s'y résoudre. Renard devrait employer la manière forte.
Il examina soigneusement les murs du tombeau, espérant trouver une issue cachée, une brèche ou une galerie qui n'existait pas lorsque les bâtisseurs avaient bâti ce caveau à flanc de volcan. Une petite issue pratique était trop demander ?
Apparemment, oui, il sortirait soit par l’itinéraire déjà emprunté à l'aller, soit… soit par l'ouverture ménagée au-dessus de la pièce principale du mausolée. Se jeter dans les bras de la mort ou être capturé par les Forces Obscures en essayant de leur échapper. Vu sous cet angle, le choix était faible.
Renard déverrouilla les portes dorées du tombeau à l’aide de ses outils, sentit la sueur perler sur son front en songeant à ce qui pouvait se trouver derrière, en entendant le déclic. D'autres grattements se firent entendre, le dragon donnait des coups de griffes pour entrer, Renard resta parfaitement immobile jusqu'à ce que le bruit s'arrête. Il laissa une minute, puis deux, s'écouler.
Il pouvait rester assis ici à attendre et écouter, mais tôt ou tard, il lui faudrait bouger. Ce qu'il fit, il ouvrit la porte et regarda au dehors. Le ciel s'assombrissait, la lumière pénétrant dans le tombeau déclinait désormais. Mais Renard n'osa pas allumer sa lanterne, cela attirerait certainement l'attention de la bête. Au lieu de cela, il se faufila à l'extérieur, ses yeux essayant d'y voir clair grâce à la luminosité naturelle.
La silhouette massive de la créature se tenait là, de l'autre côté de l'enceinte caverneuse. Immobile, pelotonnée tel un chat dans son sommeil, son flanc se soulevait et s'abaissait lentement au rythme de sa respiration. Renard gardait ses distances, soupçonnant qu'elle s'éveillerait au moindre bruit.
Il inspecta les parois internes du tombeau de son mieux malgré la faible luminosité. Les soubassements étaient richement ornés de sculptures ; escalader serait simple comme bonjour pour quelqu'un comme lui. Plus haut néanmoins, les pierres semblaient céder la place à la roche naturelle, l'ascension lui parut bien plus difficile que la précédente.
C'était soit ça, soit rester ici jusqu'à ce que le dragon se réveille, Renard entama son ascension. Il démarra, utilisant la statue d'un guerrier oublié pour assurer sa prise, avant de s'élancer et atteindre des pierres situées plus haut. Son corps effectua un mouvement ascendant, se contorsionnait au fur et à mesure, se déplaçait de plus en plus haut.
Renard poussa un cri lorsque le visage de pierre d'une gargouille qu'il utilisait comme prise céda, une partie commença à s'effriter. Ses réflexes étaient heureusement encore bons, il tendit la main pour la rattraper, plutôt que la laisser s'écraser au sol. Renard demeura un instant suspendu d'une seule main, s'agrippant de l'autre à un visage de pierre goguenard qui semblait trouver tout cela très drôle. Si ça le faisait rire, tant mieux.
Il tâtonnait prudemment à l'aide de ses pieds, en quête de points d'appui qui le soutiendraient. Il posa d'un geste sûr la pierre face contre terre sur un éperon rocheux, là où elle ne pourrait pas tomber et risquer de troubler le sommeil du dragon juste en dessous.
Il se déplaçait plus rapidement maintenant, sachant qu'il ne tiendrait plus bien longtemps. Il se déplaçait d'une prise à l'autre, tendant la main ou le pied, faisant basculer son poids. Il essaya de se frayer un chemin parmi la végétation au-dessus et retint subitement son souffle, un problème venait de surgir.
Des rochers étaient tombés, ne laissant aucune place à une prise. Cela n'aurait pas été un problème s'il avait eu du temps malgré l'espace laissé vacant, Renard aurait utilisé ses marteaux et maillets afin de se frayer un passage. Il l'avait déjà fait dans la chambre forte d'un marchand, toucher le sol aurait inévitablement déclenché une armada de pièges. Mais il ne savait pas combien de temps il lui restait avant que le dragon ne se réveille, il ne pouvait pas courir le risque de faire tinter un marteau contre la roche. Une seule solution s'imposait : sauter, franchir l'espace vacant et ainsi atteindre la prochaine prise.
Renard envisagea un instant de rejoindre le plancher des vaches, sortir par la galerie principale et essayer de se faufiler sans être repéré par les Forces Obscures. Il doutait, cependant, que son plan fonctionne. Ils l'attraperaient, et alors…
Oui, il y avait largement pire que la chute.
Il jeta un coup d'œil en contrebas, le dragon ouvrit un de ses immenses yeux dorés.
Renard bondit comme s'il avait le diable au corps. Il entendit le dragon rugir et se propulsa en hauteur, son corps semblait comme suspendu dans l'espace un temps infini avant que ses mains ne retrouvent la sécurité d'une prise dans la roche. Une roche tranchante entailla ses mains mais il n'en avait cure, seulement préoccupé à se hisser, à l'air libre, sur le flanc supérieur du volcan.
Le dragon quitta son repère et s'élança vers l'azur d'un puissant battement d'ailes. Il tournoyait, Renard crut l’espace d’un instant qu'il ferait demi-tour et foncerait droit sur lui. Quelque chose semblait le distraire, une proie au loin ou autre chose peut-être. Il s'envola à l'horizon en battant vigoureusement des ailes.
Renard resta allongé sur le dos de longues secondes, essayant de reprendre son souffle après la terreur des derniers instants. Mais il ne pouvait pas rester ainsi bien longtemps, n'ayant aucun moyen de savoir quand la bête déciderait de s'occuper de son sort. Pire, la créature disparue, les Forces Obscures risqueraient de le suivre dans le mausolée, et constateraient sa disparition.
Il se força à se relever, ne serait-ce que parce qu'il aurait besoin d'avance pour affronter de tels ennemis ; car ils étaient désormais ses ennemis. Il l'était devenu en les défiant, en refusant de les rejoindre pour leur remettre l'amulette.
Ils l'auraient probablement tué de toute façon, c’est évident. Ce genre d'individus était du genre à berner un voleur. Et le code d'honneur ? Bien sûr, il se mettait encore plus en danger ce faisant. Que feraient-ils à Yselle ou aux autres sur les terres de Lord Carrick ?
Renard espérait juste qu'ils seraient trop occupés pour partir à sa recherche, c'est bien connu, l'espoir fait vivre. Il descendit le flanc le plus éloigné du volcan en direction des terres situées en contrebas, il avançait rapidement maintenant. Il sentait le mince filet d'énergie s'échapper de l'amulette, qui se cantonnait à un filet tant qu'il n'essayait pas de s'en servir.
Il poursuivit son chemin, il avait atteint les contreforts du volcan lorsqu'il se retourna et aperçut les trois silhouettes loin derrière. Néant, Colère et Nature s'étaient visiblement aperçus de sa traîtrise, autant dire qu'il valait mieux courir.
Il courut comme un dératé en direction des champs, autour de lui, le paysage respirait le danger. Un arbre tordait ses branches vers lui, Renard s'écarta de justesse. Une pierre coupante, hérissée de pointes tranchantes comme des rasoirs, le contraignit à se jeter à plat ventre. Il se releva et poursuivit sa course.
Il sauta par-dessus un muret de pierre et courut à travers champs en slalomant, faisant profil bas, espérant que les sombres secrets qui animaient les Forces Obscures n'aient qu'une portée limitée. Renard regarda en arrière, crut que les cultures le cacheraient à leur vue, mais il savait qu'il lui fallait poursuivre. La fuite rythmait sa vie depuis toujours, il avait suffisamment de recul pour savoir que cela ne rimait à rien.
Il continua d'avancer pour atteindre un ruisseau large, boueux et vraisemblablement profond jusqu'à la taille. Au-delà s'étendait un terrain dégagé largement à découvert, à peine ponctué de quelques arbres et buissons. Un homme comme Renard pourrait s'y cacher, mais pour combien de temps ? Il devait exister un meilleur moyen. Renard songea en voyant la rivière que sa solution était toute trouvée, mais que se passerait-il si—
"Nous te retrouverons !" éructa Colère quelque part derrière lui. "Et alors, je ferai fondre tes yeux hors de tes orbites !"
Sa décision était prise, ni une ni deux, Renard prit une profonde inspiration, plongea en eaux troubles et s'accroupit au fond.
Les eaux vaseuses l'engloutirent instantanément à la face du monde, il n'apercevait plus que des ombres. L'eau était froide et le courant puissant mais Renard demeurait immobile, n'osant bouger alors que les trois individus parurent sur les berges. L'écho de leurs voix venait jusqu'à lui.
"… où est-il passé ?" demanda Colère, ivre de fureur.
"Nous le retrouverons," répondit Nature de sa voix suave, avant de crier "Sors de là, cher Renard. Montre toi !"
Les membres de Renard s'animèrent au ton de sa voix, comme animés d’une volonté propre. Il dut se faire violence pour se contenir et rester immobile, produire un effort surhumain. Ses poumons réclamaient de l'air, mais alors, il remonterait à la surface et surgirait juste devant les Forces Obscures. La terreur de ce qui risquait de lui arriver lui donna l'énergie nécessaire pour se maintenir sous l'eau.
Mais combien de temps tiendrait-il sans se noyer… Les poumons de Renard brûlaient, tandis qu'au-dessus, Néant regardait autour de lui, encore plus effrayant que les autres avec son masque blanc.
"Continuez. Trouvez-le. Trouvez cet objet."
Nature surplombait la berge juste au-dessus de Renard. Des branches et des lianes s'étendaient sur la rivière, formant un pont végétal qui grinçait et se mouvait au fur et à mesure que les trois individus le traversaient, poursuivant leur traque.
Renard remonta à la surface longtemps après qu'ils aient disparu de sa vue. Il attendit jusqu'à ce que son champ de vision soit presque complètement obscurci, chaque seconde passée était une seconde gagnée sur ses poursuivants, qui s'éloignaient.
N'en pouvant plus, il remonta finalement à la surface en haletant.
"Bon sang. Qu'ils aillent au diable !"
Il brandit l'amulette octogonale contenant une écaille de dragon, entourée de runes et de gemmes de différentes couleurs. C'était ce qu'ils voulaient, mais Renard savait qu'il ne pouvait pas donner un objet si puissant à pareils individus. Il ne pouvait pas non plus la conserver, son énergie le rongeait peu à peu.
Ce dont il avait vraiment besoin, c'était qu'un sorcier lui dise quoi en faire, mais Renard n'y connaissait rien. Il n'avait aucune expérience en matière d'amulette magique, aucune expérience des dragons ou des phrases étranges capables de renverser l'ordre établi, aucune de ces bizarreries. Mais, il avait, heureusement, une grande expérience du vol.
Il savait exactement où se débarrasser de cet objet.
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