Читать книгу «Le Tour du Monde; Scandinavie» онлайн полностью📖 — Various — MyBook.
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Nous dépassons cinq ou six établissements mus par l'eau et destinés aux préparations successives du minerai avant son entrée dans l'usine de Kongsberg. Tout cela est fait avec ce luxe de charpente qu'on ne peut trouver qu'en Norvége ou en Amérique: de gigantesques viaducs amènent l'eau d'un côté et le minerai de l'autre. Bientôt les résidus terreux s'amassent en monceaux énormes et envahissent la charpente primitive, un second édifice se superpose alors au premier sans qu'on s'inquiète autrement ni de la matière ni de l'espace. À un détour de la route, nous reconnaissons enfin la triste maison de bois peinte en brun et les hangars un peu délabrés que MM. Giraud et Karl Girardet ont poétisés de leur crayon d'artiste dans le voyage du prince.

Pour le moment, les ouvriers soupent sous le hangar; un gentilhomme, en chapeau noir, en bottes molles et en lunettes, fume à l'entrée de la mine une énorme pipe allemande; il se montre poli et prévenant; la conversation s'engage en anglais, mais au bout de quelque temps les connaissances un peu superficielles de notre interlocuteur dans l'idiome britannique nous forcent à parler norvégien. Il nous introduit dans une salle basse et nue où trois ouvriers, munis chacun d'une clef, ouvrent un grand coffre plein des échantillons les plus remarquables d'argent natif, puis on nous invite à descendre dans les mines.

À part quelques excavations immenses et partout célèbres, rien ne ressemble à une mine comme une autre mine; des échelles vermoulues, de longues galeries noires dont le silence n'est troublé que par le grondement des fleuves souterrains, un brouillard humide et noir, tout un monde enterré vivant, rien de moins fait pour parler aux yeux et émouvoir l'imagination; mais en Norvége ce serait humilier profondément la gloire nationale que de négliger les moindres détails des exploitations qui font la richesse du pays.

La mine de Kongsberg consciencieusement visitée, nous retrouvâmes avec satisfaction la terre d'en haut.

Le Norvégien en bottes nous attendait pour nous faire entrer dans l'habitation des mines et nous inscrire sur le registre des voyageurs: un toast à la vieille Norvége compléta la visite; en sortant, il nous montra dans une salle une vitrine garnie des échantillons minéralogiques de la contrée. L'argent se présente sous deux formes dans la mine: à l'état natif, il sort en longs fils3 d'une gangue pierreuse, ou à l'état de sulfure; dans ce dernier cas, une gangue blanche feuilletée renferme de gros noyaux cristallins noirs. Un magnifique échantillon de ce genre décorait la cheminée. Nous voulions nous procurer quelques-uns de ces échantillons, mais ce n'est qu'en ville qu'on les achète. Là un souper passable, préparé par l'hôte, nous attendait. Nous devions partir le lendemain de grand matin pour les montagnes et, quoiqu'il fût dix heures du soir, nous envoyons nos cartes au fonctionnaire préposé à la vente des précieux cailloux; un quart d'heure après, nous allons nous-mêmes le trouver et, tout en exprimant un dévouement sans bornes à la France, il nous vend fort cher quatre petits morceaux d'argent.

Nous le quittons et, après avoir admiré de plus près la splendeur de Larbröfoss4, nous revenons à l'hôtel, où nous trouvons toute préparée une vaste chambre contiguë à la salle de concert de la ville. Dans le Nord, où la construction est toujours en bois et par conséquent peu coûteuse, la poste-auberge, gœstgivegaard, atteint dans les petites villes des proportions respectables; au rez-de-chaussée, il y a cabaret pour le peuple, restaurant et table d'hôte pour les fonctionnaires; le premier est occupé par une vaste salle de concert destinée aux solennités musicales ou chorégraphiques de l'endroit, et flanquée de deux ou trois vastes chambres au parquet de sapin, semé de petites branches vertes.

Les montagnes du Télémark. – Leurs habitants. – Hospitalité des gaards et des sæters. – Une sorcière

Kongsberg est la dernière étape de la civilisation de ce côté de la Norvége. À quelques heures seulement de Christiania, elle participe au mouvement de la capitale. Mais n'allez pas plus loin, si vous voulez vivre autrement que de vos propres ressources. Là commencent les âpres montagnes du Télémark qui enlacent les lacs Tinn, Mjös, Totak et Bandak et vont, s'entassant les unes sur les autres, former vers l'ouest l'inaccessible barrière du Hardanger fjeld, vaste désert de neige, où l'indigène même ne s'aventure pas sans horreur.

Pendant quelques milles encore on peut se servir de la carriole; c'est-à-dire que l'on trouve un ou deux sentiers assez larges pour lui livrer passage: frayés ou non, peu importe, dès qu'elle entre, elle va partout.

Le but principal d'une excursion en Télémark est la célèbre chute fumante, Rjukandfoss5, la plus grande de l'Europe, je dis la plus grande et non la plus haute ni la plus forte; car la chute du Rhin à Schaffhausen et les rapides de la Glommen à Kongsvinger l'emportent sur le Rjukan en puissance d'eau, de même que le filet d'eau qui, à Gudvangen, dans l'évêché de Bergen, tombe de 4000 pieds dans la mer, l'emporte en hauteur; mais la célébrité du Rjukan vient à la fois de la masse imposante de ses eaux et de la hauteur immense d'où elles tombent, un lac précipité dans un autre, de mille pieds de hauteur.

Le lac Mjös, immense nappe à six branches, grossie des eaux qui tombent du Hardanger fjeld, vient se déverser par le Maan Elv dans le bassin du Tinn.

La vallée du Maan Elv peut avoir douze lieues; c'est au tiers environ qu'a lieu la dépression énorme qui produit la chute. Pour aller de Kongsberg au Rjukan, il faut passer de la vallée de la Laagen dans celle du lac Tinn et franchir une chaîne de montagnes assez abruptes; en faisant un coude et les tournant au sud, on suit une route assez bonne mais insignifiante. Nous devrons prendre le chemin le moins frayé et le plus pittoresque.

À quatre heures du matin, nous quittions Kongsberg et, après avoir suivi pendant une heure la Laagen chargée de bois flottés et bordée de grands sapins écorcés, nous entrons dans la montagne ou plutôt dans la forêt, car de tous côtés ce ne sont que sapins et rochers, rochers et sapins à perte de vue.


La vallée de Vestfjordal.—Dessin de Doré d'après M. Riant.


Au bout d'une autre heure, les pentes s'adoucissent et l'on entre dans une vaste prairie traversée par une petite rivière et bordée de hautes collines: c'est le sæter de Moën. Rien en général n'est tranquille et poétique comme un sæter; c'est une petite ferme isolée, inhabitée l'hiver. Là, en été, une famille, quelquefois une jeune fille seule, garde dans les pâturages de la montagne des troupeaux de moutons et de vaches. Le mot sæter implique l'absence de culture; il n'y a autour de la ferme que de verdoyantes prairies.

Les gens de Moën sont doux et n'ont point l'air heureux. Ils nous vendent une de ces petites broches à pendeloques que, dans les longues veillées d'hiver, les paysans façonnent avec le filigrane naturel des mines de Kongsberg.

Après Moën, commence une longue montée sur un de ces plateaux tourbeux où depuis des siècles les sapins meurent et renaissent de leurs propres débris. Dans ces déserts marécageux, la route dépasse tout ce que l'imagination a jamais pu concevoir d'effrayant pour les voitures: lacets brusques, rochers laissés en travers, ponts vermoulus, pentes à pic, rien n'y manque.

Après une heure et demie de montée on arrive à Bolkesjö. Bolkesjö est une ferme de montagne importante, fondée il y a cent ans et encore tout empreinte du cachet original des vieux gaards norvégiens.


Intérieur d'auberge à Bolkesjö.—Dessin de Lancelot.


Du haut de la montagne au versant de laquelle les dix ou douze bâtiments de la ferme sont semés, on jouit d'une vue magnifique sur le lac Fol qui occupe le fond de la vallée et sur les plateaux boisés de Hofvin, tandis que vers l'ouest se découpe la cime neigeuse du mont Gausta.

À Bolkesjö tout est encore vraiment norvégien. La chambre des hôtes, peinte depuis le parquet jusqu'aux solives d'arabesques rouges et noires aux tons brunis par le temps, est parée de deux vastes alcôves aux lits élevés; le long des murs sont des bahuts chargés de vieux pots danois à couvercle d'argent et de large vaisselle de cuivre et d'argent; de vieilles chaises de bois peintes comme les solives et de vénérables tables en racine de bouleau complètent la mise en scène.

C'est dans cet intérieur d'un haut style que le maître de la maison nous sert une façon d'œufs au lard. Toute l'argenterie de la famille est exhibée dans cette occasion solennelle, et s'il est permis de juger, par ce déploiement de luxe, de l'opulence relative de note hôte, il doit être fort à son aise. Les paysans norvégiens, s'ils vivent avec frugalité, aiment à manger dans l'argent le peu qu'ils mangent: le contenant fait valoir le contenu. De là cette quantité de pots, de cuillers, d'assiettes fabriquées avec du métal fortement allié; le tout orné des dates les plus diverses et des formes les plus capricieuses.

Après le déjeuner continue la descente; la chaleur est toujours très-forte. La route n'en est plus une; c'est un casse-cou. La grande nappe au lac Fol apparaît à gauche, mais tout en bas, à deux ou trois cents pieds au-dessous de soi. On croit à chaque instant qu'on y roulera à pic, mais le chemin tourne brusquement et rentre dans la forêt. À droite, d'autres petits lacs tributaires du Fol brillent à travers les arbres. Tous sont solitaires: pas une barque, pas une maison au bord. Quelques roches seulement, quelques chevaux en liberté qui viennent s'abreuver à la rive. Ce silence nous étonne d'abord, mais on s'y fait. Les routes peuvent être étroites, on ne croise personne. En huit jours, nous ne trouverons pas une autre voiture que les nôtres.

Au bas de la montagne de Bolkesjö et presque au niveau du Fol, nous nous arrêtons un instant à Vik où le pays recommence à devenir cultivé. De larges prairies resplendissent au soleil et les clôtures reparaissent en travers des chemins. Dans un pays où il ne passe personne, à quoi bon clôturer les champs? Le long des routes, on se borne à construire des haies de bois pour limiter les héritages. Ces longues haies coupent en général les chemins. Une grande porte de bois pivotant sur un poteau de sapin barre la route. À chaque clôture, il faut que le skydskarl qui est assis derrière la carriole saute en bas pour aller ouvrir. En général, c'est un gros gamin, blond, lent et lourd. Il faut attendre qu'il ait vu la barrière, qu'il se soit laissé tomber de la valise, qu'il ait ouvert, puis, refermé la claie et enfin (ce qui est plus long), qu'il se soit hissé de nouveau à son poste. Pour peu qu'il y en ait une vingtaine par relai, on fait à peine deux lieues à l'heure.

À Kopsland, une dernière barrière ouvre sur de magnifiques prairies, arrosées par le Maan Elv, le même fleuve qui, après être tombé de neuf cents pieds au Rjukan, a traversé le lac Tinn, puis va se jeter, à Skien, dans la mer du Nord. Le Maan à cet endroit est fort large, toujours rapide et blanc d'écume. D'énormes sapins sont emportés avec une vitesse effrayante. Du reste, les bords du fleuve n'ont rien qui participe de la nature sévère et presque furieuse de ses eaux. Des massifs d'aulnes et de frênes s'étagent sur les dernières pentes des montagnes. Les prairies sont couvertes d'orchidées et de géraniums. Des bestiaux errent dans ces riches solitudes, conduits par quelque enfant à demi nu.

Deux petits chevaux commandés par les forbuds du matin nous attendaient dans le pré. Pendant qu'on les attelle, une misérable vieille en haillons nous adresse en chantant quelques paroles aiguës. Une poignée de shillings a peine à l'éloigner. Elle a l'œil hagard et l'on ne sait si les refrains qu'elle grince sont des malédictions ou des souhaits.

Interrogé sur cette apparition insolite, le skydskarl répond que c'est une sorcière. L'heure malheureusement ne prêtait point au fantastique. Le soleil brillait dans toute sa gloire; sans quoi, on eût pu se croire transporté au temps des anciennes «sagor» et des évocations nocturnes jetées aux quatre vents.

Après avoir côtoyé quelque temps le Maan, la route le traverse. Les carrioles descendent à pic sur une petite plage de sable.

Cinq ou six sapins bruts, liés en radeau par des cordes d'écorce attendent au rivage et deux vieux Télémarkiens, coiffés d'un bonnet rond, viennent prendre les carrioles. On en met une sur le radeau; puis, l'un de l'aviron, l'autre du croc, dirigent tant bien que mal, à travers les rapides et les bois flottés, l'édifice chancelant de ce bac improvisé.

Vient ensuite le tour de la deuxième carriole, puis enfin celui des voyageurs eux-mêmes et des skydskarls. On vacille en route, on a les pieds mouillés par l'écume du torrent, mais on passe. (De l'autre côté du fleuve est la blanche petite église de Grandherred, coquettement posée sur la rive.)

À l'autre bord, un coup de fouet au cheval: animal et voiture passent par-dessus le petit banc des rameurs, tombent dans l'eau, se relèvent, partent, et tout est dit.

Les lacs Tinn et Mjös. – Le Westfjord. – La chute de Rjukan. – Légende de la belle Marie

Après deux heures de trot sur une belle route le long du fleuve, on arrive au lac Tinn où toute voie de communication cesse. À peine y a-t-il au pied des hautes falaises du lac la place du petit gaard de Tinoset et du jardin mal soigné qui l'entoure. Un vieillard en enfance, deux femmes d'une saleté repoussante habitent la chaumière. Leur faire entendre qu'on veut une barque pour traverser le lac et des chevaux pour le surlendemain à quatre heures du matin est tout un travail. Ils comprennent, mais font comme s'ils ne l'avaient point compris, et, comme les bateaux ne viennent point, nous en sommes réduits à nous coucher sur l'herbe, à l'ombre d'un magnifique pin, en vue du lac.