Читать книгу «Pièces choisies» онлайн полностью📖 — Valentin Krasnogorov — MyBook.
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ELLE. Pour vous, seules les épouses peuvent être romantiques? Eh bien, je l’ignorais.

LUI. Tu sais quoi? Tu causes trop. Bois et tais-toi, ça vaut mieux.

ELLE. Je n’ai pas envie. Je n’aime pas la vodka.

LUI. Tu comptais, sans doute, sur le champagne?

ELLE. (changeant de ton). Je comptais au moins sur une banale politesse. La politesse d’un homme envers une femme. D’un être humain envers un autre humain. Je ne vous ai pas encore fixé mon prix et vous m’avez déjà traitée de putain. Et en plus, je ne sais pas pourquoi, vous me tutoyez, bien que je vous vouvoie. (Elle se lève.) Je vous dis adieu. Je ne vous embêterai plus. (Elle laisse l’homme, retourne à sa table et s’assoit.)

Pause.

La femme, à sa table, boit son café refroidi avec de longues pauses entre chaque gorgée. L’homme se lève, puis se rassoit, reprend son manuscrit et l’ouvre, mais visiblement le cœur n’y est pas. Repoussant le manuscrit, il se dirige d’un pas décidé vers la femme et commence à s’asseoir près d’elle. La femme l’arrête.

ELLE. Je ne vous ai pas permis de vous asseoir.

LUI. (se redressant). Excusez-moi. (Il recule de deux pas et se rapproche de la table. Très poliment :) Pardon, la place est libre?

ELLE. Oui.

LUI. Je peux?

ELLE. Faites.

LUI. Je vous remercie. (Il s’assoit. Après un bref silence :) Pourquoi êtes-vous partie?

ELLE. De loin, vous me faisiez l’effet d’un intellectuel. Et donc, j’ai décidé de m’éloigner de la même distance. Mais, hélas, l’illusion ne s’est pas répétée.

LUI. Je reconnais que j’ai été quelque peu grossier avec vous.

ELLE. « Quelque peu »?

LUI. Très grossier. Je le regrette.

ELLE. Je suis contente de vous entendre dire cela.

LUI. Qui que vous soyez, j’aurais dû me conduire poliment. Vous avez eu raison de me remettre à ma place. Je ne vous ai pas tout de suite appréciée à votre valeur et je me suis conduit avec vous assez dédaigneusement et avec condescendance.

ELLE. Et moi, j’ai été assez sans-gêne et je le regrette aussi. Il m’est agréable de voir qu’à présent vous vous conduisez comme un vrai homme. Vous pouvez considérer que le conflit est éteint.

LUI. J’étais obligé de présenter des excuses, mais cela ne change pas le fond de l’affaire. Votre profession ne suscite toujours pas mon enthousiasme et je n’ai pas besoin de vos services.

ELLE. Alors, maintenant que nous nous sommes excusés tous les deux, vous pouvez retourner à votre dîner et à votre travail si extraordinairement important.

LUI. (Il se lève mais ne part pas.). Pourquoi ne retournerions-nous pas ensemble à ma table?

ELLE. Qu’a-t-elle de mieux que la mienne?

LUI. Qu’a-t-elle de pire?

ELLE. Voyez-vous, quand une femme vient s’asseoir à côté d’un homme, cela est considéré comme immoral, ce que vous m’avez laissé entendre avec la délicatesse qui vous est propre. Mais lorsqu’un homme s’assoit à la table d’une femme et commence à l’importuner, on ne sait pas pourquoi, cela prend toutes les apparences de la normalité et personne ne s’en trouve dérangé. Si bien qu’il vaut mieux que je reste à ma table. Ici, au moins, je me sens maîtresse de la situation. Et personne ne pourra dire que je m’impose.

LUI. En d’autres termes, vous m’invitez à venir m’asseoir?

ELLE. Je n’ai pas dit cela. Mais si vous en demandez l’autorisation, je ne dirai pas non.

LUI. Je vois. Donc, vous m’autorisez?

ELLE. Je vous accorde un temps d’essai.

LUI. Merci.

L’homme s’assoit.

Longue pause.

ELLE. Eh bien, vous êtes bien silencieux!

LUI. Et que dois-je dire?

ELLE. Puisque vous voilà assis à ma table, c’est votre tour, maintenant, de me divertir.

LUI. Vous le faites mieux que moi.

ELLE. Merci. Au demeurant, vous ne connaissez pas encore dans toute leur étendue mes aptitudes. Comme disait une prima donna de vaudeville vantarde : « Je donnerai de la voix le soir ».

LUI. Cela promet beaucoup.

ELLE. Je tiens toujours mes promesses.

LUI. Permettez-moi encore une fois de répéter : vous êtes une interlocutrice intéressante et je suis prêt à discuter avec vous autant que vous voudrez. Mais rien de plus. De sorte que si vous escomptez un salaire, il vaut mieux que vous ne perdiez pas votre temps et que vous trouviez un autre client.

ELLE. Vous vous conduisez très bizarrement. D’ordinaire, les hommes veulent passer directement à la chose, sans aucune discussion. Et vous, vous préférez les discussions et évitez la chose.

LUI. Ce que vous appelez la chose, la première venue sait comment y conduire. Mais soutenir intelligemment une conversation intéressante n’est pas à la portée de n’importe qui. Ce serait un péché que de laisser passer l’occasion.

ELLE. Par soutenir intelligemment une conversation intéressante, vous entendez, bien évidemment, échange de grossièretés.

LUI. Je peux vous expliquer, pourquoi j’ai été brusque avec vous. J’ai senti que l’on me prenait à l’abordage. Cela ne m’a pas plu et j’ai été contraint de me défendre. Si la conversation que nous devons avoir se déroule sans allusions érotiques, je me sentirai libre et c’est avec plaisir que je parlerai avec vous d’Alice au pays des merveilles.

ELLE. Dites-moi sans ambages ce qui vous dérange chez moi. Je suis affreuse? Ennuyeuse? Désagréable?

LUI. Pas du tout.

ELLE. Alors, où est le problème?

LUI. Eh bien, voyez vous-même, pourquoi me lancer dans une aventure avec une inconnue? Vous avez du charme, je ne le nie pas. C’est sans doute agréable de s’endormir avec vous, mais peut-être que demain je me réveillerai sans argent, sans papiers. Et peut-être que votre petit ami fait équipe avec vous et qu’il me fendra le crâne pour avoir mon portefeuille.

ELLE. Quel homme raisonnable et prudent vous faites! Vous prévoyez tout.

LUI. À vos yeux, je sais, c’est un défaut. « Plaignons qui prévoit tout… ».

ELLE. Et pourquoi n’ai-je pas peur de vous? Vous aussi, vous pouvez tout me faucher.

LUI. Moi, à vous?

ELLE. Et pourquoi pas? À ce propos, j’ai pas mal d’argent sur moi. Tenez, regardez. (Elle ouvre son sac à main.)

LUI. (Après avoir jeté un œil dans le sac.). Ho! ho! D’où sortez-vous tant d’argent?

ELLE. Le salaire de ces quatre derniers jours. Votre ami ne me fracassera-t-il pas le crâne pour ça?

LUI. Je vois qu’on vous rétribue avec largesse.

ELLE. Je ne me plains pas. Mais le travail n’est pas des plus faciles. Et il exige une haute qualification.

LUI. Si ce n’est pas un secret, combien prenez-vous?

ELLE. Soyez rassuré, nous trouverons une entente.

LUI. Je ne demande pas pour moi, mais en général.

ELLE. Ça dépend de la durée, de la situation financière du commanditaire, de mon humeur et aussi de beaucoup d’autres choses.

LUI. Et malgré tout? Combien?

ELLE. Et jusqu’à combien pouvez-vous aller?

LUI. Zéro. Je n’en ai pas besoin, même pas gratuitement. Simple curiosité de ma part.

ELLE. Vous savez quoi? Lorsque, par exemple, en Espagne, une dame proposait un rendez-vous à un homme, même en pleine nuit et dans un lieu inconnu, il y allait sans hésiter, sans penser à sa bourse ou aux dangers. C’est comme ça qu’agissaient les vrais cavalleros.

LUI. Mais nous ne sommes pas en Espagne et nous ne jouons pas une comédie de cape et d’épée. Nous sommes dans notre triste réalité de tous les jours, où il y a beaucoup de filouterie, de mensonges, de criminalité et de cruauté. De plus, il ne s’agit pas seulement de prudence de ma part.

ELLE. Et de quoi donc?

LUI. Pour être franc, plonger la cuillère dans la soupe c’est agréable quand elle est dans une assiette propre et non pas dans une auge publique. Excusez-moi, je ne voulais pas vous offenser.

ELLE. Peut-être ne vouliez-vous pas, mais vous l’avez fait. Mais pas avec vos paroles grossières, non, j’en ai plus qu’entendu de votre part, mais tout simplement parce que vous ne voulez pas de moi. Et pour une femme, il n’y a pas plus grande offense que de savoir qu’elle n’est pas désirée.

LUI. S’il vous plaît, laissons ce sujet. Nous en étions convenus.

ELLE. Nous ne sommes convenus de rien.

LUI. Parlons d’autre chose.

ELLE. Abstenons-nous plutôt de parler d’autre chose.

Pause.

LUI. Puisque vous n’aimez pas la vodka, peut-être, commanderons-nous pour de bon du champagne?

ELLE. Pas maintenant.

LUI. Et quand?

ELLE. Demain matin.

LUI. Il n’y aura pas de demain matin.

ELLE. Si.

LUI. Non.

ELLE. Et qu’y aura-t-il? Seulement la nuit?

LUI. Il n’y aura rien, aucune coucherie.

ELLE. Mais je ne vous l’ai même pas promise. En général, un homme marié n’est pas disposé à coucher dans deux cas : ou bien sa femme l’a à ce point ensorcelé, qu’il n’est pas attiré par d’autres femmes, ou bien elle l’a à ce point réfrigéré qu’il en a perdu le goût. Avec laquelle de ces deux variantes avons-nous affaire dans votre cas?

LUI. (Sèchement.). Je vous ai priée, me semble-t-il, de ne pas toucher à ma vie privée. De ne pas prononcer un mot sur ma femme. Et, plus largement, de ne pas parler de moi.

ELLE. Et de quoi alors?

LUI. De ce que vous voulez, mais pas de moi.

ELLE. Et moi, justement, j’ai envie de ne parler que de vous.

LUI. Ça vous sert à quoi?

ELLE. Ça vous sert vous. Vous n’êtes pas heureux. Vous n’avez personne à qui vous confier.

LUI. Tout va bien pour moi.

ELLE. Et puis, vous avez peur de moi.

LUI. Moi, peur de vous?

ELLE. Oui. Vous avez peur de me céder, mais plus encore de me laisser, de retourner dans votre chambre et de rester seul à seul avec vous-même. Voilà pourquoi vous restez avec moi et me proposez du champagne, bien qu’au fond de vous-même vous me méprisiez. Vous me méprisez et vous me voulez. Je me trompe?

LUI. Foutaise!

ELLE. C’est la vérité.

LUI. Non, vous vous trompez.

ELLE. Vous ne me méprisez pas, mais me voulez seulement?

LUI. Non.

ELLE. Vous ne me voulez pas, mais me méprisez seulement?

LUI. Vous avez une habileté consommée à chambrer les gens et à vous cramponner au moindre mot.

ELLE. Je me cramponne, parce que je veux vous accrocher. N’est-ce pas suffisamment clair?

LUI. Et vous l’avouez?

ELLE. Est-ce que je vous l’ai caché? Depuis le tout début, je ne vous parle que de cela. Mais, pour une raison que j’ignore, vous avez peur de moi.

LUI. Je n’ai peur de rien. Simplement, je trouverais désagréable de me réveiller le matin aux côtés d’une inconnue.

ELLE. Et de ne pas savoir comment vous en débarrasser.

LUI. Je n’ai pas dit ça.

ELLE. Mais vous l’avez pensé.

LUI. (Sèchement.). Je ne veux pas vous froisser, mais je suis contraint de répéter pour la dixième fois, je ne suis pas de ceux qui trouvent leur plaisir dans des amours facturées à l’heure. Je suis peut-être vieux jeu, mais on ne se refait pas.

ELLE. Et ce n’est pas la peine. Vous me plaisez précisément tel que vous êtes.

L’homme prend son portefeuille, en sort de l’argent et le pose sur la table.

LUI. Tenez, prenez.

ELLE. Qu’est-ce que c’est?

LUI. Votre rémunération, pour le temps que vous avez perdu. Il vous fallait gagner de l’argent, je suis prêt à payer. À la condition que vous me lâchiez.

ELLE. Nous discuterons de cette transaction plus tard.

LUI. Non, maintenant. Si ce n’est pas assez, je suis prêt à payer plus. (Il rouvre son portefeuille.)

ELLE. J’ai l’habitude de gagner ma vie honnêtement et de ne pas recevoir d’aumône.

LUI. En me divertissant, vous la gagnez plus honnêtement que d’habitude. Je ne cache pas que j’étais d’humeur exécrable et vous m’avez quelque peu aidé à me distraire. Mais maintenant, suffit. Prenez et partez.

ELLE. (Peinée et sincèrement déçue.). Visiblement, ça doit être vrai que je ne vous plais pas beaucoup. (Après un court silence.) Mais, peut-être, au contraire, êtes-vous très attiré par moi? Je crois que pour me rassurer, je vais rester sur la deuxième variante.

LUI. Je ne vous retiens pas.

ELLE. Pourquoi me chassez-vous?

LUI. Parce que j’ai effectivement comme l’impression de commencer à m’intéresser à vous plus qu’il ne convient.

ELLE. Et vous savez toujours ce qu’il convient de se permettre?

LUI. Naturellement. Comme on dit, bois mais sans excès, aime mais sans t’éprendre.

ELLE. Vous méritez vingt sur vingt pour votre conduite.

LUI. Absolument. Prenez l’argent.

ELLE. Si je le prends, ce sera seulement au matin.

LUI. J’admire votre persévérance.

ELLE. Et moi votre caractère inflexible.

LUI. Vous avez tout tenté, mais vous avez perdu.

ELLE. Alors, c’est nous deux qui avons perdu.

LUI. Peut-être. Et maintenant, partez.

ELLE. Je ne veux pas dire mais c’est ma table.

LUI. C’est juste. Pardon.

L’homme se lève sans hésitation, retourne à sa table, fourre son manuscrit dans son porte-documents, prêt à partir. La femme se lève et se dirige vers sa table.

ELLE. Pardon, la place est libre?

LUI. (Irrité.). Oui. Toute la table est libre, parce que j’ai fini de dîner et que je vais partir.

ELLE. Donc, en attendant, je peux m’asseoir?

LUI. Comme il vous plaira.

La femme s’assoit.

LUI. Eh bien, que voulez-vous encore?

ELLE. Dire quelques mots en guise d’adieu. Asseyez-vous. Je ne serai pas longue.

LUI. (Il s’assoit.). Alors?

ELLE. Savez-vous pourquoi, il y a une heure de ça, je me suis approchée de vous?

LUI. Je le devine.

ELLE. Non, vous ne pouvez pas le deviner.

LUI. Eh bien, alors, dites.

ELLE. Ça faisait un moment que j’étais assise à proximité et que je vous observais. Et vous n’avez même pas une fois jeté un regard vers moi. Mais je ne dis pas ça parce que je serais vexée, pour quelle raison auriez-vous dû me regarder? Et donc, je restais là, assise, et soudain j’ai pensé que vous alliez partir et que je ne vous reverrais plus jamais. Et je vous ai imaginé montant seul alors vers votre chambre nue et sans confort et j’ai compris que si vous partiez, alors je ne pourrais plus rien pour vous. Alors, tout à coup, je me suis levée et je vous ai abordé sans rien espérer et sans aucun plan. Je vous ai simplement abordé.

LUI. (Étonné par cet aveu inattendu, il garde longtemps le silence, ne sachant pas comment réagir.). Vos paroles me laissent sans réponse.

ELLE. Mais elles n’exigent aucune réponse. Oubliez-les, voilà tout.

LUI. Avouez que vous venez seulement d’inventer tout cela.

ELLE. Peut-être. Mais je n’avouerai pas.

LUI. Je suis certain que vous l’avez inventé, mais quand même c’est agréable.

ELLE. Eh bien, sur cette note agréable, nous achevons une rencontre qui n’a pas eu lieu. (Elle se lève.)

LUI. Vous êtes une femme étrange.

ELLE. Merci pour le compliment. Je vais tâcher de le mériter.

LUI. Intelligente, instruite, pas désinvolte, bien élevée… Et avec ça… Non, c’est vrai, très étrange.

ELLE. Est-ce mal d’être étrange?

LUI. Eh bien, pas à un tel degré.

ELLE. Il vaut mieux être comme tout le monde?

LUI. Sans doute.

ELLE. Mais être normale, quel ennui! Mais si vous aimez l’ennui, allez vous ennuyer plus loin.

La femme retourne à sa table. L’homme, après une certaine hésitation, se dirige à nouveau vers elle.

LUI. (Manquant de résolution.). Savez-vous ce que j’ai pensé? Peut-être, en effet, pourrions-nous monter dans ma chambre?

ELLE. À quoi bon? N’êtes-vous pas un modèle de moralité?

LUI. Nous y boirons un café.

ELLE. (Montrant sa tasse.). Ici aussi, on sert du café.

LUI. Si ce n’est du café, alors autre chose.

ELLE. (Avec un léger sourire.). Du champagne?

LUI. Et pourquoi pas?

ELLE. Mais c’est vous-même qui m’aviez dit de ne pas y compter.

LUI. Allez-vous cesser? De toute façon, le restaurant ferme. Bon gré mal gré, il faut partir.

ELLE. Allez-y.

LUI. Et vous?

ELLE. Moi, je reste.

LUI. Pourquoi?

ELLE. Vous n’avez pas besoin de moi, même gratuitement. C’est bien ce que vous avez dit?

LUI. Pourquoi gratuitement? Je suis prêt à payer.

ELLE. Et, malgré vos principes, vous feriez l’amour avec une femme vénale?

LUI. En définitive, nous ne sommes pas du tout obligés de faire l’amour.

ELLE. Et pour quoi, alors, me faites-vous monter dans votre chambre?

LUI. Eh bien, simplement pour parler. Vous avez une conversation intéressante… Vous connaissez beaucoup de poésies…

ELLE. Ne me faites pas rire. Soyez honnête avec vous-même.

LUI. Bon, d’accord, nous savons tous les deux de quoi il retourne. Et après?

ELLE. Je n’irai nulle part avec vous.

LUI. Mais vous-même tout à l’heure proposiez…

ELLE. Je ne m’en souviens pas. Mais même si je l’ai proposé, il fallait alors être d’accord. Mais maintenant, j’ai changé d’avis.

LUI. Vous vous jouez de moi, comme le chat de la souris.

ELLE. Peut-être. Je crains seulement que le chat lui-même ne devienne souris.

LUI. Je n’arrive pas à vous comprendre. Il y a à peine quelques instants, vous teniez de tels propos… Comme quoi je vous plaisais…

ELLE. Oui. Et je ne les renie pas. Mais venant de vous je n’ai pas entendu ces propos.

LUI. Vous ne voulez quand même pas que je vous fasse une déclaration d’amour?

ELLE. Et pourquoi pas?

LUI. Mais ce serait simplement comique!

ELLE. Eh bien, riez!

LUI. Mais nous nous connaissons à peine.

ELLE. Nous ne nous connaissons pas du tout.

LUI. Nous pouvons remédier à cet inconvénient.

ELLE. Vous n’êtes pourtant pas adepte des rencontres faciles.

LUI. (Désabusé.). Je vois que je ne vous persuaderai pas.

ELLE. On peut persuader n’importe quelle femme.

LUI. C’est possible, mais moi je ne sais pas comment on fait.

ELLE. Vous voulez un conseil?

LUI. Eh quoi, il y a une voie?

ELLE. Voilà, vous m’invitez à réciter des vers. Je peux ici même vous réciter quelque chose pour commencer. Rachmaninov a une romance sur des paroles de Hugo. Elle s’intitule : « Comment, disaient-ils? » Vous connaissez?

LUI. Non. Mais je préfèrerais avoir une réponse à ma question.

ELLE. (L’interrompant.). Écoutez jusqu’à la fin. Ce poème de Hugo est assez étrange. Dans chaque strophe, des « ils » inconnus posent une longue question pleine d’émotion, et d’autres « ils », ou, plus précisément, « elles », parce que dans le texte original français est utilisé le pronom personnel féminin, donnent une très brève réponse, simple et inattendue.

LUI. Quelque chose m’échappe.

ELLE. Bon, écoute cet exemple :

Comment, disaient-ils,

Oublier querelles

Misère et périls?

(Après une courte pause.)

‒ Dormez, disaient-elles.

LUI. Tout cela est très intéressant, mais quel rapport cela a-t-il avec le conseil que vous vouliez me donner?

ELLE. Le conseil est le suivant :

Comment, disaient-ils,

Enchanter les belles

Sans philtres subtils?

(Elle se tait.)

LUI. Et?…

ELLE. Aimez, disaient-elles.

LUI. J’ai compris l’allusion.