Читать книгу «L'oiseau bleu: Féerie en six actes et douze tableaux / Синяя птица. Книга для чтения на французском языке» онлайн полностью📖 — Мориса Метерлинка — MyBook.
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TYLTYL. Non, non, je vois très bien ceux qui ne se cachent point…

LA FÉE. Mais il faut voir les autres avec la même audace!… C’est bien curieux, les hommes… Depuis la mort des fées, ils n’y voient plus du tout et ne s’en doutent point… Heureusement que j’ai toujours sur moi tout ce qu’il faut pour rallumer les yeux éteints… Qu’est-ce que je tire de mon sac?…

TYLTYL. Oh! le joli petit chapeau vert!… Qu’estce qui brille ainsi sur la cocarde?…

LA FÉE. C’est le gros Diamant qui fait voir…

TYLTYL. Ah!…

LA FÉE. Oui; quand on a le chapeau sur la tête, on tourne un peu le Diamant: de droite à gauche, par exemple, tiens, comme ceci, vois-tu?… Il appuie alors sur une bosse de la tête que personne ne connaît, et qui ouvre les yeux…

TYLTYL. Ça ne fait pas de mal?…

LA FÉE. Au contraire, il est fée… On voit à l’instant même ce qu’il y a dans les choses; l’âme du pain, du vin, du poivre, par exemple…

MYTYL. Est-ce qu’on voit aussi l’âme du sucre?… LA FÉE [subitement fâchée]. Cela va sans dire!… Je n’aime pas les questions inutiles… L’âme du sucre n’est pas plus intéressante que celle du poivre… Voilà, e vous donne ce que j’ai pour vous aider dans la recherche de l’Oiseau Bleu… Je sais bien que l’Anneauqui-rend-invisible ou le Tapis-Volant vous seraient plus utiles… Mais j’ai perdu la clef de l’armoire où je les ai serrés… Ah! j’allais oublier… [Montrant le Diamant.] Quand on le tient ainsi, tu vois… un petit tour de plus, on revoit le Passé… Encore un petit tour, et l’on voit l’Avenir… C’est curieux et pratique et ça ne fait pas de bruit…

TYLTYL. Papa me le prendra…

LA FÉE. Il ne le verra pas; personne ne peut le voir tant qu’il est sur ta tête…21 Veux-tu l’essayer?… [Elle coiffe Tyltyl du petit chapeau vert.] À présent, tourne le Diamant… Un tour et puis après…

[À peine Tyltyl a-t-il tourné le Diamant, qu’un changement soudain et prodigieux s’opère en toutes choses. La vieille fée est tout à coup une belle princesse merveilleuse; les cailloux dont sont bâtis les murs de la cabane s’illuminent, bleuissent comme des saphirs, deviennent transparents, scintillent, éblouissent à l’égal des pierres les plus précieuses. Le pauvre mobilier s’anime et resplendit; la table de bois blanc s’affirme aussi grave, aussi noble qu’une table de marbre, le cadran de l’horloge cligne de l’œil et sourit avec aménité, tandis que la porte derrière quoi va et vient le balancier s’entr’ouvre et laisse s’échapper les Heures, qui, se tenant les mains et riant aux éclats, se mettent à danser aux sons d’une musique délicieuse. Effarement légitime de Tyltyl qui s’écrie en montrant les Heures.]

TYLTYL. Qu’est-ce que c’est que toutes ces belles dames?…

LA FÉE. N’aie pas peur; ce sont les heures de ta vie qui sont heureuses d’être libres et visibles un instant…

TYLTYL. Et pourquoi que les murs sont si clairs?… Est-ce qu’ils sont en sucre ou en pierres précieuses?…

LA FÉE. Toutes les pierres sont pareilles, toutes es pierres sont précieuses: mais l’homme n’en voit que quelques-unes…

[Pendant qu’ils parlent ainsi, la féerie continue et se complète. Les âmes des Pains-de-quatre-livres22, sous la forme de bonshommes en maillots couleur croûte-de-pain, ahuris et poudrés de farine, se dépêtrent de la huche et gambadent autour de la table où ils sont rejoints par le Feu, qui, sorti de l’âtre en maillot soufre et vermillon, les pour-suit en se tordant de rire.]

TYLTYL. Qu’est-ce que c’est que ces vilains bonshommes?…

LA FÉE. Rien de grave; ce sont les âmes des Pains-de-quatre-livres qui profitent du règne de la vérité pour sortir de la huche où elles se trouvaient à l’étroit…23

TYLTYL. Et le grand diable rouge qui sent mauvais?…

LA FÉE. Chut!… Ne parle pas trop haut, c’est le Feu… Il a mauvais caractère.

[Ce dialogue n’a pas interrompu la féerie. Le Chien et la Chatte, couchés en rond au pied de l’armoire, poussant simultanément un grand cri, disparaissent dans une trappe, et à leur place surgissent deux personnages, dont l’un porte un masque de bouledogue, et l’autre une tête de chatte. Aussitôt, le petit homme au masque de bouledogue – que nous appellerons dorénavant le Chien – se précipite sur Tyltyl qu’il embrasse violemment et accable de bruyantes et impétueuses caresses, cependant que la petite femme au masque de chatte – que nous appellerons plus simplement la Chatte – se donne un coup de peigne, se lave les mains et se lisse la moustache, avant de s’approcher de Mytyl.]

LE CHIEN [hurlant, sautant, bousculant tout, insupportable]. Mon petit dieu!… Bonjour! bonjour, mon petit dieu!… Enfin, enfin, on peut parler! J’avais tant de choses à te dire!… J’avais beau aboyer24 et remuer a queue!… Tu ne comprenais pas!… Mais maintenant!… Bonjour! bonjour!… Je t’aime!… Je t’aime!… Veux-tu que je fasse quelque chose d’étonnant?… Veux-tu que je fasse le beau?…25 Veux-tu que je marche sur les mains ou que je danse à la corde?…

TYLTYL [à la Fée]. Qu’est-ce que c’est que ce monsieur à tête de chien?…

LA FÉE. Mais tu ne vois donc pas?… C’est l’âme de Tylô que tu as délivrée…

LA CHATTE [s’approchant de Mytyl et lui tendant la main, cérémonieusement, avec circonspection]. Bonjour, Mademoiselle… Que vous êtes jolie ce matin!…

MYTYL. Bonjour, Madame… [À la Fée.] Qui estce?…

LA FÉE. C’est facile à voir; c’est l’âme de Tylette qui te tend la main… Embrasse-la…

LE CHIEN [bousculant la Chatte]. Moi aussi!… J’embrasse le petit dieu!… J’embrasse la petite fille!… J’embrasse tout le monde!… Chic!… On va s’amuser!… Je vais faire peur à Tylette!… Hou! hou! hou!…

LA CHATTE. Monsieur, je ne vous connais pas…

LA FÉE [menaçant le Chien de sa baguette]. Toi, tu vas te tenir bien tranquille; sinon tu rentreras dans le silence, jusqu’à la fin des temps…

[Cependant, la féerie a poursuivi son cours: le Rouet s’est mis à tourner vertigineusement dans son coin en filant de splendides rayons de lumière; la Fontaine, dans l’autre angle, se prend à chanter d’une voix sur-aiguë et, se transformant en fontaine lumineuse, inonde l’évier de nappes de perles et d’émeraudes, à travers lesquelles s’élance l’âme de l’Eau, pareille à une jeune fille ruisselante, échevelée, pleurarde, qui va incontinent se battre avec le Feu.]

TYLTYL. Et la dame mouillée?…

LA FÉE. N’aie pas peur, c’est l’Eau qui sort du robinet…

[Le Pot-au-lait se renverse, tombe de la table, se brise sur le sol; et du lait répandu s’élève une grande forme blanche et pudibonde qui semble avoir peur de tout.]

TYLTYL. Et la dame en chemise qui a peur?…

LA FÉE. C’est le Lait qui a cassé son pot…

[Le Pain-de-sucre26 posé au pied de l’armoire grandit, s’élargit et crève son enveloppe de papier d’où émerge un être doucereux et papelard, vêtu d’une souquenille mi-partie de blanc et de bleu, qui, souriant béatement, s’avance vers Mytyl.]

MYTYL [avec inquiétude]. Que veut-il?…

LA FÉE. Mais c’est l’âme du Sucre!…

MYTYL [rassurée]. Est-ce qu’il a des sucres d’orge?…

LA FÉE. Mais il n’a que ça dans ses poches, et chacun de ses doigts en est un…

[La Lampe tombe de la table, et aussitôt tombée, sa flamme se redresse et se transforme en une lumineuse vierge d’une incomparable beauté. Elle est vêtue de longs voiles transparents et éblouissants, et se tient immobile en une sorte d’extase.]

TYLTYL. C’est la Reine!

MYTYL. C’est la Sainte Vierge!…

LA FÉE. Non, mes enfants, c’est la Lumière…

[Cependant, les casseroles, sur les rayons, tournent comme des toupies hollandaises, l’armoire à linge claque ses battants et commence un magnifique déroulement d’étoffes couleur de lune et de soleil, auquel se mêlent, non moins splendides, des chiffons et des guenilles qui descendent l’échelle du grenier. Mais voici que trois coups assez rudes sont frappés à la porte de droite.]

TYLTYL [effrayé]. C’est papa!… Il nous a entendus!…

LA FÉE. Tourne le Diamant!… De gauche à droite!… [Tyltyl tourne vivement le diamant.] Pas si vite!… Mon Dieu! Il est trop tard!… Tu l’as tourné trop brusquement. Ils n’auront pas le temps de reprendre leur place, et nous aurons bien des ennuis… [La Fée redevient vieille femme, les murs de la cabane éteignent leurs splendeurs, les Heures rentrent dans l’horloge, le Rouet s’arrête, etc. Mais dans la hâte et le désarroi général, tandis que le Feu court follement autour de la pièce, à la recherche de la cheminée, un des Pains-de-quatre-livres, qui n’a pu retrouver place dans la huche, éclate en sanglots tout en poussant des rugissements d’épouvante.] Qu’y a-t-il?…

LE PAIN [tout en larmes]. Il n’y a plus de place dans la huche!…

LA FÉE [se penchant sur la huche]. Mais si, mais si… [Poussant les autres pains qui ont repris leur place primitive.] Voyons, vite, rangez-vous…

[On heurte encore la porte.]

LE PAIN [éperdu, s’efforçant vainement d’entrer dans a huche]. Il n’y a pas moyen!… Il me mangera le premier!…

LE CHIEN [gambadant autour de Tyltyl]. Mon petit dieu!… Je suis encore ici!… Je puis encore parler! Je puis encore t’embrasser!… Encore! encore! encore!…

LA FÉE. Comment, toi aussi?… Tu es encore à?…

LE CHIEN. J’ai de la veine… Je n’ai pas pu rentrer dans le silence; la trappe s’est refermée trop vite.

LA CHATTE. La mienne aussi… Que va-t-il arriver?… Est-ce que c’est dangereux?

LA FÉE. Mon Dieu, je dois vous dire la vérité: tous ceux qui accompagneront les deux enfants, mourront à la fin du voyage…

LA CHATTE. Et ceux qui ne les accompagneront pas?…

LA FÉE. Ils survivront quelques minutes…

LA CHATTE [au Chien]. Viens, rentrons dans la trappe…

LE CHIEN. Non, non!… Je ne veux pas!… Je veux accompagner le petit dieu!… Je veux lui parler tout le temps!…

LA CHATTE. Imbécile!…

[On heurte encore à la porte.]

LE PAIN [pleurant à chaudes larmes]. Je ne veux pas mourir à la fin du voyage!… Je veux rentrer tout de suite dans ma huche!…

LE FEU [qui n’a cessé de parcourir vertigineusement la pièce en poussant des sifflements d’angoisse]. Je ne trouve plus ma cheminée!…

L’EAU [qui tente vainement de rentrer dans le robinet]. Je ne peux plus rentrer dans le robinet!…

LE SUCRE [qui s’agite autour de son enveloppe de papier]. J’ai crevé mon papier d’emballage!…

LE LAIT [lymphatique et pudibond]. On a cassé mon petit pot!…

LA FÉE. Sont-ils bêtes, mon Dieu!… Sont-ils bêtes et poltrons!… Vous aimeriez donc mieux continuer de vivre dans vos vilaines boîtes, dans vos trap-pes et dans vos robinets que d’accompagner les enfants qui vont chercher l’Oiseau?…

TOUS [à l’exception du Chien et de la Lumière]. Oui! oui! Tout de suite!… Mon robinet!… Ma huche!… Ma cheminée!… Ma trappe!…

LA FÉE [à la Lumière qui regarde rêveusement les débris de sa lampe]. Et toi, la Lumière, qu’en dis-tu?…

LA LUMIÈRE. J’accompagnerai les enfants…

LE CHIEN [hurlant de joie]. Moi aussi! moi aussi!…

LA FÉE. Voilà qui est des mieux. Du reste, il est trop tard pour reculer; vous n’avez plus le choix, vous sortirez tous avec nous… Mais toi, le Feu, ne t’approche de personne, toi, le Chien, ne taquine pas la Chatte, et toi, l’Eau, tiens-toi droite et tâche de ne pas couler partout…

[Des coups violents sont encore frappés à la porte de droite.]

TYLTYL [écoutant]. C’est encore papa!… Cette fois, il se lève, je l’entends marcher…

LA FÉE. Sortons par la fenêtre… Vous viendrez tous chez moi, où j’habillerai convenablement les animaux et les phénomènes… [Au Pain.] Toi, le Pain, prends la cage dans laquelle on mettra l’Oiseau Bleu… Tu en auras a garde… Vite, vite, ne perdons pas de temps…

[La fenêtre s’allonge brusquement, comme une porte. Ils sortent tous, après quoi la fenêtre reprend sa forme primitive et se referme innocemment. La chambre est redevenue obscure, et les deux petits lits sont plongés dans l’ombre. La porte à droite s’entr’ouvre, et dans l’entrebâillement paraissent les têtes du père et de la mère Tyl.] LE PÈRE TYL. Ce n’était rien… C’est le grillon qui chante…

LA MÈRE TYL. Tu les vois?…

LE PÈRE TYL. Bien sûr… Ils dorment tranquillement…

LA MÈRE TYL. Je les entends respirer…

[La porte se referme.]
RIDEAU