Kyra suivait ses frères qui remontaient la route les menant au fort, en les regardant peiner sous le poids du sanglier. Aidan à ses côtés et Léo sur les talons qui était finalement revenu de sa partie de chasse. Brandon et Braxton avaient du mal à transporter la bête morte qu’ils avaient suspendue à leurs lances qu’ils portaient sur leurs épaules. Leur humeur sombre avait radicalement changée depuis qu’ils étaient sortis du bois et qu’ils avaient retrouvé l’air libre, surtout maintenant que le fort de leur père était en vue. Á chaque pas Brandon et Braxton retrouvaient confiance en eux et avaient presque retrouvé leurs personnalités arrogantes au point qu’ils riaient de nouveau, se chahutant l’un l’autre tout en se vantant au sujet de leur prise.
“C’est ma lance qui l’a blessé en premier,” affirma Brandon à Braxton.
“Mais,” répliqua Braxton, “c’est ma lance qui l’a incité à se diriger vers la flèche de Kyra.”
Kyra était rouge de colère en écoutant leurs mensonges. Ses imbéciles de frères arrivaient à se convaincre eux-mêmes de leurs propres mensonges au point qu’ils semblaient réellement y croire. Elle les imaginait très bien en train de se vanter dans la grande salle de leur père, en train de dire à tout le monde qu’il s’agissait de leur trophée.
C’était ahurissant. Elle n’avait pas envie de se rabaisser à les reprendre. Elle croyait fermement à la justice de la vie et elle savait que la vérité finissait toujours par éclater.
“Vous êtes des menteurs,” dit Aidan en marchant à ses côtés, visiblement encore sous le choc des événements. “Vous savez très bien que c’est Kyra qui a tué le sanglier.”
Brandon lui lança un regard moqueur par-dessus l’épaule, comme si Aidan n’était qu’un vulgaire insecte.
“Comment pourrais-tu le savoir?” demanda-t-il à Aidan. “Tu étais trop occupé à te faire pipi dessus.”
Ils se mirent tous deux à rire comme si chacun de leur pas donnait plus de poids à leur histoire.
“Et vous ne vous êtes pas enfuis sous le coup de la peur?” demanda Kyra, prenant la défense d’Aidan, incapable de supporter cette situation une minute de plus.
Ils ne surent que répondre. Kyra aurait vraiment pu les humilier si elle l’avait voulu, mais elle n’avait même pas besoin d’hausser la voix. Elle continua de marcher joyeusement, contente de sa répartie et du fait qu’elle avait sauvé la vie de son frère. C’était suffisamment satisfaisant pour elle.
Kyra sentit une petite main se poser sur son épaule et elle se retourna pour découvrir un Aidan souriant et cherchant à la réconforter, reconnaissant d’être en vie et en un seul morceau. Kyra se demanda si ses frères aînés étaient capables d’apprécier ce qu’elle avait fait pour eux car après tout, si elle n’avait pas agi comme elle l’avait fait, ils seraient morts à l’heure qu’il est.
Kyra regarda le sanglier rebondir à chacun de leur pas et elle grimaça. Elle aurait souhaité que ses frères le laissent reposer en paix dans la clairière, là où était sa place. C’était un animal maudit, il n’appartenait pas à Volis et n’avait rien à faire ici. C’était un mauvais présage de le ramener du Bois des Épines, en particulier le soir de la Lune d’Hiver. Elle se souvenait d’un vieil adage qu’elle avait lu: ne te vante pas après être passé près de la mort. Elle avait l’impression que ses frères cherchaient à tenter le destin en ramenant les ténèbres chez eux. Elle ne pouvait s’empêcher de penser que cela faisait office de mauvaises choses à venir.
Arrivant au sommet d’une colline, la forteresse et une vue imprenable des alentours s’offrirent à eux. Malgré les rafales de vent et l’accumulation de neige, Kyra se sentait immensément soulagée d’être rentrée. De la fumée s’élevait des cheminées parsemant la campagne et le fort de son père émettait une douce lueur accueillante, tout éclairé de feux combattant la tombée de la nuit. Á l’approche du pont, la route devint plus large et en meilleur état. Ils accélérèrent le pas et se hâtèrent sur le dernier tronçon. La route était encombrée de personnes impatientes à l’idée du festival qui se préparait et ce, malgré le mauvais temps et la nuit tombante.
Kyra n’était pas surprise. Le festival de la Lune d’Hiver était l’un des événements les plus importants de l’année et tout le monde s’affairait aux préparatifs. Une foule de personnes se pressait sur le pont-levis, tous pressés de se procurer leur marchandise auprès des vendeurs, de rejoindre les festivités, tandis qu’un nombre équivalent de personnes cherchaient à sortir par les portes, impatients de retrouver leur foyer pour célébrer en famille. Des chariots tirés par des bœufs et transportant des marchandises circulaient dans les deux directions tandis que des maçons frappaient et s’affairaient à élever un nouveau mur pour protéger le fort, le son de leur marteaux retentissant dans les airs et venant s’ajouter au vacarme du bétail et des chiens. Kyra s’était toujours demandée comment ils arrivaient à travailler par ce temps et évitaient que leurs mains ne s’engourdissent.
Tout en traversant le pont et se mêlant à la masse, Kyra releva les yeux et son estomac se noua lorsqu’elle vit que des Hommes du Seigneur se tenaient près de la porte, des soldats du Seigneur Gouverneur Local mandatés par Pandésia et portant leurs armures écarlate distinctive en côtes de mailles. Comme la plupart des gens de son peuple, elle fut indignée de les voir ainsi. La présence des Hommes du Seigneur était outrageante et encore plus en ce soir de la Lune d’Hiver car ils ne cherchaient rien d’autre qu’à prélever ce qu’ils pouvaient sur les gens de son peuple. Pour elle, ce n’étaient que des charognards, des tyrans et des charognards à la botte d’infâmes aristocrates qui s’étaient octroyé le pouvoir depuis l’invasion pandésienne.
La faiblesse de leur vieux Roi était à blâmer. Il leur avait cédé à tous mais cela n’avait amené rien de positif à son peuple. Aujourd’hui, leur plus grande honte était que le peuple devait se soumettre à ces hommes. Cette situation faisait enrager Kyra. Son père, ses grands guerriers ainsi que tout le peuple n’étaient rien de plus que des serfs. Elle souhaitait désespérément qu’ils se rebellent, qu’ils se battent pour leur liberté, qu’ils se lancent dans cette guerre tant redoutée par leur vieux Roi. Elle savait également que s’ils se rebellaient maintenant ils subiraient les foudres de l’armée pandésienne. Peut-être auraient-ils pu leur résister s’ils ne s’étaient pas laissés envahir mais à présent qu’ils étaient parmi eux, ils n’avaient que peu d’alternatives.
Ils atteignirent le pont et se mêlèrent à la foule. Les gens s’arrêtaient sur leur passage, les regardant et montrant le sanglier du doigt. Kyra ressentit une certaine satisfaction en voyant ses frères peiner sous le poids de leur fardeau, soufflant et haletant. Ils continuèrent d’avancer, les têtes se retournaient sur leur passage, les gens s’écartaient. Les gens du peuple aussi bien que les guerriers, tous étaient impressionnés par la bête massive. Elle remarqua également quelques regards superstitieux, un certain nombre de personnes se demandant comme elle si cela n’était pas un mauvais présage.
Cependant, tous les yeux regardaient ses frères avec fierté.
“Une belle prise pour le festival!” lança un fermier menant son bœuf dans les rues parmi la foule.
Brandon et Braxton rayonnaient de fierté.
“Cela devrait nourrir la moitié de la cour de ton père!” avança un boucher.
“Comment avez-vous fait cela?” demanda un écuyer.
Les deux frères se regardèrent et Brandon finit par sourire à l’homme.
“Un beau tir sans peur aucune,” répondit-il avec audace.
“Si vous ne vous aventurez pas dans les bois,” rajouta Braxton, “vous ne savez pas ce que vous y trouverez.”
Quelques hommes applaudirent et leur donnèrent des tapes dans le dos. Kyra prit sur elle pour ne rien dire. Elle n’avait pas besoin de la reconnaissance de ces gens. Elle savait ce qu’elle avait fait.
“Ils n’ont pas tué le sanglier!” lâcha Aidan indigné.
“Toi, ferme-la,” siffla Brandon en se retournant. “Recommence et je leur dirai à tous que tu t’es fais pipi dessus lorsqu’il a chargé.”
“Mais ce n’est pas vrai!” protesta Aidan.
“Et tu espères qu’ils vont te croire?” ajouta Braxton.
Brandon et Braxton se mirent à rire. Aidan regarda Kyra comme s’il cherchait un indice sur ce qu’il devait faire.
Elle secoua la tête.
“Ne gaspille pas tes efforts,” lui dit-elle. “La vérité triomphe toujours.”
La foule devint plus dense alors qu’ils traversaient le pont. Ils se retrouvèrent bientôt épaule contre épaule avec les autres personnes tandis qu’ils traversaient le pont. Kyra pouvait sentir l’excitation dans l’air alors que la nuit tombait, que les torches s’allumaient progressivement et que la neige tombait de façon plus intense. Elle releva les yeux et comme d’habitude son cœur s’accéléra à la vue de l’imposante porte de pierre en forme d’arche du fort qui était gardée par une dizaine d’hommes de son père. Tout en haut se trouvait une herse relevée avec des pics en fer aiguisés et renforcée par de solides barres suffisamment résistantes pour détourner n’importe quel ennemi, prête à être refermée au premier coup de cor. La porte faisait dix mètres de haut et elle était surmontée d’une large plateforme qui faisait tout le tour du fort et sur laquelle des remparts étaient érigés, régulièrement interrompus par des points d’observation d’où des yeux vigilants guettaient en permanence les alentours. Kyra avait toujours su que Volis était une belle forteresse et elle était fière d’y habiter. Elle était encore plus fière des hommes qui l’habitaient, les hommes de son père. La grande majorité d’entre eux faisant partie des meilleurs guerriers d’Escalon qui se regroupaient progressivement à Volis après avoir été dispersés depuis la reddition de leur Roi, attirés comme des aimants autour de son père. Plus d’une fois elle avait pressé son père de se déclarer comme le nouveau Roi, ce que tous les gens du peuple souhaitaient. Mais à chaque fois il se contentait de secouer la tête en disant que ce n’était pas sa façon de faire les choses.
Alors qu’ils approchaient de la porte, une dizaine d’hommes de son père jaillirent par la porte à dos de cheval, la foule s’écarta de part et d’autre pour leur laisser la voie libre jusqu’au terrain d’entraînement situé en dehors des murs du fort et démarqué par un large talus circulaire au milieu des champs, entouré d’un mur de pierre assez bas. Le cœur battant, Kyra se retourna sur leur passage et les regarda passer. Le terrain d’entraînement était son lieu préféré. Elle aimait s’y rendre et les regarder s’exercer pendant des heures, détaillant chacun de leurs mouvements, leur façon de monter leurs chevaux, leur manière de dégainer leurs épées, de brandir leurs lances et de manier leurs fléaux d’arme. Ces hommes chevauchaient pour aller s’entraîner malgré l’obscurité naissante et le fait que ce soit un jour de fête. Ils voulaient s’entraîner, devenir les meilleurs car ils préféraient être sur un champ de bataille plutôt que de se retrouver à festoyer bien au chaud à l’intérieur comme elle. Elle savait que ces hommes étaient les plus vaillants de son peuple.
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