Читать книгу «Le Leurre Zéro» онлайн полностью📖 — Джека Марса — MyBook.



« Allons-y », déclara Kim. Il fit un signe de tête à un autre, qui se tenait devant un panneau de commandes complexes piloté par trois personnes, juste derrière la colonne de direction du Glimmer et séparé du reste du bateau par un pare-brise épais que Eun-ho savait à l’épreuve des balles. L’homme inséra une clé dans une fente, la tourna et saisit un code à quatre chiffres sur le clavier tactile.

Les portes en aluminium au centre du navire s’élevèrent avec un lourd vrombissement, s’ouvrant vers l’extérieur comme une paire de portes Bilco. Un bourdonnement plus profond résonna lorsque l’ascenseur métallique fut activé. En quelques instants, l’arme sortit des entrailles du Glimmer telle une apparition angélique. C’était un spectacle magnifique à contempler.

Même les experts les plus pointus en la matière diraient qu’un canon à plasma est, au mieux de la théorie, au pire un rêve farfelu, et pourtant, ils en avaient construit un. Après deux ans d’un travail acharné vingt-quatre heures sur vingt-quatre de la part de quelques-uns des esprits les plus brillants que les mondes oriental et le monde occidental aient connu, de mariages brisés, de vies personnelles jetées aux oubliettes et d’un budget absolument indécent, une arme que l’on pensait ne jamais voir le jour venait de naître.

Dressée sur toute sa hauteur sur l’ascenseur hydraulique, l’arme dépassait la coque du Glimmer d’environ trois mètres. Les deux rails parallèles qui composaient essentiellement le « canon » de l’arme mesuraient six mètres de long, une paire d’électrodes ultra-résistantes le long desquelles une armature de particules ionisées de type gazeux glisserait à une vitesse supérieure à environ sept fois celle du son. La portée de tir effective du canon, pour autant que ses modèles prédictifs puissent le dire, était de deux cent quarante à trois cent vingt kilomètres.

Les paroles de Sun résonnaient dans la tête de Eun-ho. Seulement si cette satanée machine fonctionne. Bien sûr, tous les systèmes qui composaient le canon à plasma avaient leur importance et formaient un tout, mais il aimait à penser que son travail était sans nul doute le plus important ; après tout, si l’arme ne pouvait pas tirer de projectile à plasma, elle serait parfaitement inutile.

Il n’était pas superstitieux, et pourtant, il croisa les doigts.

« Regarde », lui marmonna Sun tandis qu’il lui présentait une paire d’épaisses jumelles noires.

Eun-ho les saisit en hochant la tête. « Où ? »

Sun lui montra du doigt, et Eun-ho regarda dans la direction qu’il lui indiquait. Il pouvait à peine la voir, telle une ombre vague à travers le soleil encore levant. C’était une barge à ordures de soixante-dix mètres de long où s’entassaient des déchets en provenance de Séoul. Elle n’avait pas d’équipage à son bord et les quelques faibles lumières autour de son périmètre étaient les seuls avertissements qu’un quelconque navire pourrait recevoir pour éviter une collision. La barge était amarrée depuis trois semaines à présent, à cet endroit précis et dans ce but précis.

Elle ne se trouvait qu’à dix-huit kilomètres. Le test d’aujourd’hui était un voyage inaugural pour ainsi dire, non pas pour tester l’étendue des possibilités du canon, mais pour s’assurer de son efficacité, de sa précision et de sa puissance – et surtout, comme l’avait si justement souligné Sun, que cette satanée machine fonctionne bien.

« Prêt », déclara Kim.

Le canon à plasma prit vie dans un craquement sourd. Eun-ho savait qu’il lui fallait huit secondes pour préparer sa charge, délai durant lequel l’opérateur entrait habilement les coordonnées et, en quelques secondes seulement, l’arme corrigeait automatiquement sa trajectoire afin d’atteindre sa cible.

« Prêt », répéta l’homme derrière la console.

Kim jeta un regard à ses collègues qui attendaient dans l’expectative. Alors, en hochant brièvement la tête, il dit : « Feu ! »

Tout alla si vite que Eun-ho n’eut pas le temps de réaliser ce qu’il se passait. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, une étincelle de plasma bleu se mit à danser le long des électrodes du canon. Ce fut terminé tout aussi rapidement. Il n’y eut pas de craquement strident, pas de boum sonore, pas de bourdonnements aigus dans les oreilles. Il y eut un simple son étrange – comme un zoum ! – et une microseconde de plasma bleu. À peine plus qu’un flash.

Et l’instant d’après, à dix-huit kilomètres de là, la barge explosa. Même à distance, la force de l’explosion le fit tressaillir. Un instant, on apercevait à peine la barge à l’horizon même avec les jumelles et, l’instant d’après, il y eut un arc de feu ardent dans le ciel en une explosion de morceaux qui volèrent sur des centaines de mètres dans toutes les directions, éclairant les premières heures matinales.

Quelques secondes après, ces morceaux enflammés crépitèrent avant de sombrer dans les eaux glaciales de l’Océan Pacifique Nord.

En de telles circonstances, beaucoup de grands hommes avaient eu la clairvoyance de préparer un discours pour l’occasion, sachant, ou tout du moins suspectant, que leurs mots seraient rapportés aux générations futures dans les livres d’histoire, ou déversés sur Internet, ou, au pire, consignés par une des personnes présentes. Cependant, Eun-ho n’avait rien préparé de tel et, à ce moment précis, il ne réussit à prononcer qu’une syllabe étouffée.

« Ho ! »

Le test s’était particulièrement bien déroulé. Cette satanée machine fonctionnait à la perfection. À l’endroit où s’était trouvée la barge quelques instants auparavant, on ne voyait à présent rien d’autre que les eaux bouillonnantes. La force destructrice du canon à plasma était immense, pas tout à fait celle d’une ogive, mais ce n’était pas une arme explosive. C’était une arme tactique, précise ; ses objectifs étaient plus petits, plus stratégiques et pouvaient même être mobiles. Le canon à plasma serait des plus aptes à couler des navires, à abattre des avions, ou même à contrer des missiles. La capacité qu’il avait à corriger automatiquement sa trajectoire presque instantanément et la vitesse du projectile à plasma de Mach 7 le rendaient virtuellement indestructible. Son seul défaut ne résidait que dans les huit secondes de chargement qui étaient nécessaires avant de pouvoir tirer et, quand bien même, c’était un pâle défaut quand on le comparait aux missiles à longue portée, torpilles ou autres canons de cuirassés. Sa taille relativement petite lui procurait une plus grande mobilité et ses capacités de furtivité le rendaient presque invisible aux yeux de l’ennemi, même à proximité.

Le canon à plasma pourrait révolutionner l’aspect des conflits militaires modernes, même si ce n’était pas son but premier, du moins, ce n’était pas ce que l’on avait dit à Eun-ho et ses collègues. Malgré les nombreux milliards dépensés pour la création de cette arme (la Corée du Sud possédait le dixième budget militaire le plus élevé au monde), ils en produiraient cinq de plus. De cette façon, la demi-douzaine de canons à plasma protégeraient la frontière qui les séparait de leur voisin du Nord, mais les protégeraient aussi de n’importe quel ennemi ou envahisseur potentiels. Ils ne cherchaient pas à devenir une plus grande puissance militaire ou à détruire quiconque qui ne soit pas un agresseur ; il s’agissait de protection, d’assurer la sécurité de leur peuple et rien de plus.

Et il était, lui, Eun-ho Park, parmi ceux qui étaient responsables du bien-être et de la sécurité de son peuple. Il avait contribué à rendre une telle chose possible. Même le vent mordant de février en provenance de l’océan ne pouvait gâcher l’immense sentiment de fierté qui l’étreignait.

« Dr Kim ! » s’écria brusquement l’homme derrière la console. « Un bateau ! »

La tête d’Eun-ho pivota rapidement en direction du cri de détresse et ses yeux s’écarquillèrent lorsqu’il s’aperçut que l’homme ne regardait pas l’écran radar de sa console, mais désignait quelque chose par-delà la proue. Un bateau s’approchait en effet, à moins de quinze cents mètres et bondissait sur les crêtes à pointes blanches tandis que sa distance s’amenuisait.

Ils avaient tous été distraits par la démonstration et en avaient oublié de rester vigilants. Ils avaient supposé qu’ils étaient en sécurité.

« Mais qu’est-ce que c’est que ça ? » grogna Dr Kim. « Qui…? »

Eun-ho se rendit compte qu’il tenait toujours dans ses mains les jumelles de Sun. Il les souleva à hauteur de son visage et les ajusta. Il ne s’y connaissait pas trop en bateaux, mais suffisamment pour savoir que celui qui était à l’approche n’était pas militaire et pas aussi récent que l’était le Glimmer. La coque ébréchée et décolorée témoignait d’une certaine usure… et étaient-ce des impacts de balles qu’il apercevait sur son flanc ?

Il regarda sur le pont et laissa presque échapper un cri d’étonnement. Les hommes qui y étaient rassemblés portaient des vêtements adaptés au froid, mais les zones exposées de leur peau sombre laissaient supposer qu’ils étaient Africains. En outre, les armes qu’ils tenaient fermement dans leurs mains indiquaient clairement que leurs intentions étaient tout sauf amicales.

Eun-ho n’était pas un spécialiste des bateaux mais, en revanche, il s’y connaissait bien en armes, suffisamment en tout cas pour reconnaître un AK-47 lorsqu’il en voyait un.

« Monsieur », dit-il docilement à Kim. « Je ne sais pas comment dire ça, mais je crois que ce sont… des pirates. »

« Donnez-moi ça ! » s’exclama Kim en lui arrachant les jumelles des mains. Les joues imberbes du docteur s’affaissèrent légèrement tandis qu’il gardait les yeux rivés aux jumelles.

Bien sûr, ils avaient tous entendu des histoires sur ces pirates des temps modernes, tout particulièrement ceux en provenance de Somalie, mais cela ne concernait que certaines zones territoriales ; leurs victimes étaient celles qui naviguaient dans le golfe d’Aden, la mer d’Arabie et certainement pas dans le Pacifique Nord où ils se trouvaient à des milliers de kilomètres de leur territoire de chasse.

L’Allemand se tenait debout à présent, son regard perçant fixé au-delà de la proue du navire. Il défit l’attache de l’étui en nylon qu’il portait à la taille et en sortit son arme avec une fluidité telle qu’on aurait pu imaginer qu’elle venait tout juste d’apparaître dans sa main.

Ce fut Sun qui prit la parole.

« Pointez l’arme sur eux. »

Dr Kim lui lança un regard de totale incrédulité : « Est-ce que vous êtes devenus fous ? Vous voulez qu’on les tue tout simplement ?

– Ils ont des armes, murmura l’Allemand, des fusils d’assaut.

– Ils ont tout vu, insista Sun. Ils nous ont vus tirer avec le canon et ils veulent le récupérer. Pas de doute possible. Visez-les. »

Une boule de panique vrilla les entrailles de Eun-ho. C’était assez étrange de penser qu’en dépit de tout le temps qui avait été consacré à ces recherches, il n’avait pourtant jamais envisagé que cette arme de génie puisse être utilisée pour supprimer des vies. Qu’il en serait partie prenante. Que ses propres mains avaient permis la construction de ces projectiles. À présent, ils étaient là, confrontés à une menace bien réelle et avec très peu d’échappatoires possibles.

« Vous avez quinze secondes pour vous décider, déclara l’Allemand avec son accent âpre et d’une voix tonitruante qu’il ne lui connaissait pas.

– Non, déclara Kim fermement. Nous pouvons les distancer aisément. Mettez les moteurs en marche !

– Nous devons d’abord abaisser l’arme… balbutia l’homme à la console.

– Eh bien allez-y ! hurla Kim. Maintenant, vite !

– Mais ils ont tout vu ! insista Sun encore une fois.

– Dix secondes », intervint l’Allemand. »

Une salve de tirs automatiques déchira l’air, si forte et nette au-dessus de l’océan que Eun-ho porta instinctivement ses mains sur son crâne. Il ressentit le vrombissement de l'ascenseur hydraulique descendant le canon à plasma au fond des entrailles du Glimmer. Il entendit les cris, d’abord ceux paniqués et suppliants de certains de ses collègues, puis d’autres, gutturaux, furieux et inintelligibles à son oreille, une langue qui n’était ni le coréen, ni l’anglais, ni le mandarin que Eun-ho parlait aussi couramment, mais qui semblait à la fois furieuse, exigeante et terriblement menaçante.

Lorsqu’il osa à nouveau regarder, l’esquif des pirates – car il était désormais arrivé à la conclusion qu’il s’agissait bien de pirates – s’était rapproché et avait ralenti pour se positionner perpendiculairement à la proue du Glimmer de sorte qu’il ne pouvait désormais plus avancer.

« Renversez les gaz, maintenant ! » glapit Kim tandis que la trappe se refermait sur le canon.

L’homme à la console enveloppait sa main sur la manette des gaz lorsqu’une détonation brusque et soudaine fit sursauter Eun-ho. La tête du pilote fut projetée sur la droite tandis qu’un nuage de brume rouge se déversait sur la mer derrière lui.

L’Allemand abaissa son pistolet. Le silence et l’incrédulité qui suivirent le moment étaient écrasants ; l’homme de la console s’affaissa sur le pont. Les pirates observaient la scène. Les collègues d’Eun-ho restaient, eux, parfaitement immobiles. Ses jambes se tétanisèrent, si pesantes qu’elles semblaient s’être enracinées au pont du navire.

Dans ce moment de flottement, l’Allemand se tourna et sans la moindre émotion tira une seconde balle en pleine tête du Dr Kim.

Cela les fit sortir de leur torpeur. Plusieurs crièrent. Deux autres se précipitèrent en avant, Sun et un autre homme, Bong, si Eun-ho se rappelait correctement. Ils se jetèrent sur l’Allemand mais celui-ci pivota et, au lieu de s’embêter avec son pistolet, il leur asséna un grand coup de coude qui vint s’écraser sur le nez de Sun avec un craquement sinistre ; la tête de celui-ci fut projetée en arrière et le sang qui en jaillit en arc de cercle vint maculer la parka d’Eun-ho. Avec la même fluidité dont il avait fait preuve pour décocher son arme, l’Allemand fit tourner le pistolet dans sa paume, l’agrippant par le canon et asséna un coup à Bong juste derrière la mâchoire avec la crosse.

Les jambes d’Eun-ho s’affaissèrent, ses genoux se dérobèrent et percutèrent lourdement le pont, lui provoquant une onde de douleur dans tout le corps. Deux autres coups de feu furent tirés, pop-pop en une rapide succession et, même les yeux fermés, il reconnut le son révélateur de deux corps qui s’écroulaient.

Il y eut un splash, puis un autre, des collègues qui, entre la fuite, la lutte ou l’immobilisme avaient choisi la fuite. Cependant, alors que la terreur s’était emparée de lui, Eun-ho se dit que cette option revenait au même que l’immobilisme. En effet, en plein mois de février dans les eaux glacées du Pacifique Nord, ils seraient immobiles pour l’éternité en moins d’une minute.

Pop.

Pop-pop.

Ce n’était pas le son déchirant des rafales automatiques que l’on entendait, mais les simples détonations du pistolet noir mat. Ce n’étaient pas les pirates qui faisaient feu, réalisa-t-il alors, ils patientaient. Ils attendaient patiemment que tout soit fini pour s’emparer du canon. L’Allemand les avait trahis. L’homme responsable de leur sécurité était celui qui avait causé leur perte.

Quand finalement Eun-ho rassembla suffisamment de courage pour ouvrir de nouveau les yeux, le pont du Glimmer était maculé de sang par endroits et blanc immaculé en d’autres. Quatre des pirates africains étaient montés à bord, se mettant à deux afin de balancer les corps de ses collègues par-dessus bord.

L’Allemand était debout derrière lui, tenant négligemment son pistolet dans la main gauche comme s’il s’agissait d’un simple accessoire.

« Pourquoi ? » demanda Eun-ho, ou tout du moins essaya-t-il, mais tout