Читать книгу «L’Or / Золото. Книга для чтения на французском языке» онлайн полностью📖 — Блеза Сандрар — MyBook.
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À une lieue de Besançon, Johann August Suter trempe ses pieds meurtris dans un ruisseau. Il est assis au milieu des renoncules, à trente mètres de la grand-route.

Passent sur la route, sortant d’un petit bois mauve, une dizaine de jeunes Allemands. Ce sont de gais compagnons qui vont faire leur tour de France. L’un est orfèvre, l’autre ferronnier d’art, le troisième est garçon boucher, un autre laquais. Tous se présentent et entourent bientôt Johann. Ce sont de bons bougres, toujours prêts à trousser un jupon et à boire sans soif. Ils sont en bras de chemise et portent un balluchon au bout d’un bâton. Johann se joint à leur groupe se faisant passer pour ouvrier imprimeur.

C’est en cette compagnie que Suter arrive en Bourgogne. Une nuit, à Autun, alors que ses camarades dorment, pris de vin, il en dévalise deux ou trois et en déshabille un complètement.

Le lendemain, Suter court la poste sur la route de Paris.

Arrivé à Paris, il est de nouveau sans le sou. Il n’hésite pas. Il se rend directement chez un marchand de papier en gros du Marais, un des meilleurs clients de son père, et lui présente une fausse lettre de crédit. Une demi-heure après avoir empoché la somme, il est dans la cour des Messageries du Nord. Il roule sur Beauvais et de là, par Amiens, sur Abbeville. Le patron d’une barque de pêche veut bien l’embarquer et le mener au Havre. Trois jours après, le canon tonne, les cloches sonnent, toute la population du Havre est sur les quais : l’Espérance, pyroscaphe à aubes et à voilures carrées, sort fièrement du port et double l’estacade. Premier voyage, New York.

À bord, il y a Johann August Suter, banqueroutier, fuyard, rôdeur, vagabond, voleur, escroc.

Il a la tête haute et débouche une bouteille de vin.

C’est là qu’il disparaît dans les brouillards de la Manche par temps qui crachote et mer qui roule sec. Au pays on n’entend plus parler de lui et sa femme reste quatorze ans sans avoir de ses nouvelles. Et tout à coup son nom est prononcé avec étonnement dans le monde entier.

C’est ici que commence la merveilleuse histoire du général Johann August Suter.

C’est un dimanche.

Chapitre II

5

Le port.

Le port de New York.

1834.

C’est là que débarquent tous les naufragés du vieux monde. Les naufragés, les malheureux, les mécontents. Les hommes libres, les insoumis. Ceux qui ont eu des revers de fortune ; ceux qui ont tout risqué sur une seule carte ; ceux qu’une passion romantique a bouleversés. Les premiers socialistes allemands, les premiers mystiques russes. Les idéologues que les polices d’Europe traquent ; ceux que la réaction chasse. Les petits artisans, premières victimes de la grosse industrie en formation. Les phalanstériens français, les carbonari, les derniers disciples de Saint-Martin, le philosophe inconnu, et des Écossais. Des esprits généreux, des têtes fêlées. Des brigands de Calabre, des patriotes hellènes. Les paysans d’Irlande et de Scandinavie. Des individus et des peuples victimes des guerres napoléoniennes et sacrifiés par les congrès diplomatiques. Les carlistes, les Polonais, les partisans de Hongrie. Les illuminés de toutes les révolutions de 1830 et les derniers libéraux qui quittent leur patrie pour rallier la grande République, ouvriers, soldats, marchands, banquiers de tous les pays, même sud-américains, complices de Bolivar. Depuis la Révolution française, depuis la déclaration de l’Indépendance (vingt-sept ans avant l’élection de Lincoln à la présidence), en pleine croissance, en plein épanouissement, jamais New York n’a vu ses quais aussi continuellement envahis. Les émigrants débarquent jour et nuit, et dans chaque bateau, dans chaque cargaison humaine, il y a au moins un représentant de la forte race des aventuriers.

Johann August Suter débarque le 7 juillet, un mardi. Il a fait un vœu. À quai, il saute sur le sol, bouscule les soldats de la milice, embrasse d’un seul coup d’œil l’immense horizon maritime, débouche et vide d’un trait une bouteille de vin du Rhin, lance la bouteille vide parmi l’équipage nègre d’un bermudien. Puis il éclate de rire et entre en courant dans la grande ville inconnue, comme quelqu’un de pressé et que l’on attend.

6

– Vois-tu, mon vieux, disait Paul Haberposch à Johann August Suter, moi, je t’offre une sinécure et tu seras nourri, logé, blanchi. Même que je t’habillerai. J’ai là un vieux garrick à sept collets qui éblouira les émigrants irlandais. Nulle part tu ne trouveras une situation aussi bonne que chez moi ; surtout, entre nous, que tu ne sais pas la langue ; et c’est là que le garrick fera merveille, car avec les Irlandais qui sont de sacrés bons bougres, tous fils du diable tombés tout nus du paradis, tu n’auras qu’à laisser ouvertes tes oreilles pour qu’ils y entrent tous avec leur bon dieu de langue de fils à putain qui ne savent jamais se taire. Je te jure qu’avant huit jours, tu en entendras tant que tu me demanderas à entrer dans les ordres. Un Irlandais ne peut pas se taire, mais pendant qu’il raconte ce qu’il a dans le ventre, moi, je te demande de palper un peu son balluchon, histoire de voir s’il n’a pas un double estomac comme les singes rouges ou s’il n’est pas constipé comme une vieille femme. Je te donne donc mon garrick, un gallon de Bay-Rhum (car il faut toujours trinquer avec un Irlandais qui débarque, c’est une façon de se souhaiter la bienvenue entre compatriotes) et un petit couteau de mon invention, long comme le coude, à lame flexible comme le membre d’un eunuque. Tu vois ce ressort, presse dessus, na, tu vois, il y a trois petites griffes qui sortent du bout de la lame. C’est bien comme ça, oui. Pendant que tu lui parles d’O’Connor ou de l’acte de l’Union voté par le Parlement, mon petit outil te dira si ton client a le fondement percé ou s’il est bouché à l’émeri. Tu n’auras qu’à mordre dessus pour savoir si elle est en or ou en plomb, sa rondelle. Tu as compris ? oui, eh bien, tant mieux, ça n’est pas trop tôt ! Certes, c’est de mon invention ; quand je naviguais sur les Échelles, il y avait un diable de chirurgien français à bord qui appelait ça un thermomètre. Alors je te confie le thermomètre et pas de blagues, hein ? car tu me plais, fiston, votre mère n’a pas dû s’embêter en vous fabriquant. Écoutez. Surtout n’oublie pas de bien astiquer les boutons de ton garrick, il faut qu’ils brillent comme l’enseigne d’une bonne auberge, puis tu montres le flacon de rhum, car, comme dit le proverbe : bon sang ne saurait mentir, et avec tes cheveux de radis noir, mon garrick, les boutons astiqués comme des dollars gagnés aux dés, ils te prendront pour le cocher de l’archevêque de Dublin un jour de Grand pardon, et avec leurs idées d’Europe, ils te suivront tous jusqu’ici. Fais attention, hein, ne fais pas dead-heat, ne te laisse pas souffler tes clients par le satané Hollandais d’en face ; sinon gare ! Encore un mot. Quand tu m’auras amené ici un de tes Irlandais de malheur, tâche de ne jamais plus le rencontrer dans ta vie, même pas dans cent ans ! C’est tout ce que je te souhaite. Maintenant, fous le camp, on est paré.

– Il y a des tuyaux qui sont bons ; il y a des tuyaux qui sont crevés. Moi, je vais t’apprendre comment on fait du lard avec du cochon.

C’est Hagelstroem qui parle, l’inventeur des allumettes suédoises. Johann August Suter est garçon livreur, empaqueteur et comptable chez lui. Trois mois se sont écoulés. Johann August Suter a quitté les abords immédiats du port et pénétré plus avant dans la ville. Comme toute la civilisation américaine, il se déplace lentement vers l’ouest. Depuis sa rencontre avec ce vieux corsaire d’Haberposch, il a déjà fait deux, trois métiers différents. Il s’enfonce de plus en plus en ville. Il travaille chez un drapier, chez un droguiste, dans une charcuterie. Il s’associe avec un Roumain et fait du colportage. Il est palefrenier dans un cirque. Puis maréchal-ferrant, dentiste, empailleur, vend la rose de Jéricho dans une voiture dorée, s’établit tailleur pour dames, travaille dans une scierie, boxe un nègre géant et gagne un esclave et une bourse de cent guinées, remange de la vache enragée, enseigne les mathématiques chez les Pères de la Mission, apprend l’anglais, le français, le hongrois, le portugais, le petit nègre de la Louisiane, le sioux, le comanche, le slang, l’espagnol, s’avance encore plus dans l’ouest, traverse la ville, franchit l’eau, sort en banlieue, ouvre un mastroquet dans un faubourg. À Fordham, parmi sa clientèle de rudes rouliers qui s’attardent à boire en se communiquant les mille nouvelles de l’intérieur, apparaît de temps à autre un buveur solitaire et taciturne, Edgar Allan Poe.

Deux ans se sont écoulés. Tout ce que Suter a ouï, vu, appris, entendu dire, s’est gravé dans sa mémoire. Il connaît New York, les vieilles petites rues aux noms hollandais et les grandes artères nouvelles qui se dessinent et que l’on va numéroter ; il sait quel genre d’affaires on y traite, sur quoi s’édifie la prodigieuse fortune de cette ville ; comment on s’y tient au courant de la progression des lentes caravanes de chariots dans les grandes plaines herbeuses du Middle West ; dans quels milieux se préparent des plans de conquête et des expéditions encore ignorées du Gouvernement. Il a tellement bu de whisky, de brand, de gin, d’eau-de-vie, de rhum, de caninha, de pulque, d’aguardiente avec tous les enfants perdus retour de l’intérieur, qu’il est un des hommes les mieux renseignés sur les territoires légendaires de l’ouest. Il a plus d’un itinéraire en tête, a vent de plusieurs mines d’or, est le seul à connaître certaines pistes perdues. Deux, trois fois, il risque de l’argent dans des expéditions lointaines ou mise sur la tête de tel chef de bande. Il connaît les Juifs qui financent, qui sont comme les armateurs de ces sortes d’entreprises. Il connaît aussi les fonctionnaires qu’on peut acheter.

Et il agit.

D’abord prudemment.

Il s’associe, pour le voyage seulement, à des marchands allemands et part pour Saint-Louis, capitale du Missouri.

7

L’État du Missouri est grand comme la moitié de la France. La seule voie de communication est le gigantesque Mississippi. Il y reçoit ses principaux affluents, d’abord les eaux formidables du Missouri, que les grands bacs à vapeur et à roue transversale arrière remontent durant dix-huit cents lieues, et dont les eaux sont si pures que dix-huit lieues après leur jonction on les distingue encore des eaux vaseuses, troubles, terreuses, jaunies du Mississippi ; puis, ce second fleuve, vraisemblablement aussi important et dont les eaux sont aussi pures, « la belle rivière », l’Ohio. Entre des rives basses, recouvertes de forêts, ces trois fleuves coulent majestueusement à leur rencontre.

Les populations grandissantes et fiévreusement agitées des États de l’est et du sud sont mises par ces artères géantes en communication avec les territoires inconnus qui s’étendent sans fin au nord et à l’ouest. Plus de huit cents bateaux à vapeur accostent annuellement à Saint-Louis.

C’est un peu au-dessus de la capitale, dans l’angle fertile formé par la jonction du Missouri et du Mississippi, exactement à Saint-Charles, que Johann August Suter achète des terres et s’établit fermier.

Le pays est beau et fertile. Le maïs, le coton et le tabac y poussent et surtout, plus au nord, le blé. Tous ces produits descendent le fleuve, vers les États plus chauds, pour être mesurés hebdomadairement aux Nègres qui travaillent dans les plantations de canne à sucre. Cela est d’un bon rapport.

Mais ce qui intéresse avant tout Suter dans ce trafic, c’est la parole vivante des voyageurs qui montent et descendent les rivières. Sa maison est ouverte à tous et sa table toujours mise. Une barque armée, montée d’esclaves noirs, arraisonne les bateaux qui passent et les mène à l’estacade. L’accueil est tel que la maison ne désemplit pas ; aventuriers, colons, trappeurs qui descendent chargés de butins ou misérables, tous également heureux de se refaire là et de se remettre des fatigues de la brousse et des prairies ; chercheurs de fortune, casse-cou, têtes brûlées qui remontent, la fièvre aux yeux, mystérieux, secrets.

Suter est infatigable, il les régale tous, passe des nuits à boire, interroge insatiablement son monde.

Mentalement il confronte tous ces récits, les classe, les compare. Il se souvient de tout et n’oublie pas un nom propre, de col, rivière, montagne ou lieux-dits : l’Arbre Sec, les Trois Cornes, le Gué Mauvais.

Un jour, il a une illumination. Tous, tous les voyageurs qui ont défilé chez lui, les menteurs, les bavards, les vantards, les hâbleurs, et même les plus taciturnes, tous ont employé un mot immense qui donne toute sa grandeur à leurs récits. Ceux qui en disent trop comme ceux qui n’en disent pas assez, les fanfarons, les peureux, les chasseurs, les outlaws, les trafiquants, les colons, les trappeurs, tous, tous, tous, tous parlent de l’Ouest, ne parlent en somme que de l’Ouest.

L’Ouest.

Mot mystérieux.

Qu’est-ce que l’Ouest ?

Voici la notion qu’il en a.

De la vallée du Mississippi jusqu’au-delà des montagnes géantes, bien loin, bien loin, bien avant dans l’ouest, s’étendent des territoires immenses, des terres fertiles à l’infini, des steppes arides à l’infini. La prairie. La patrie des innombrables tribus peaux rouges et des grands troupeaux de bisons qui vont et viennent comme le flux de la mer.

Mais après, mais derrière ?

Il y a des récits d’Indiens qui parlent d’un pays enchanté, de villes d’or, de femmes qui n’ont qu’un sein. Même les trappeurs qui descendent du nord avec leur chargement de fourrures ont entendu parler sous leur haute latitude, de ces pays merveilleux de l’ouest, où, disent-ils, les fruits sont d’or et d’argent.

L’Ouest ? Qu’est-ce que c’est ? qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi y a-t-il tant d’hommes qui s’y rendent et qui n’en reviennent jamais ? Ils sont tués par les Peaux Rouges ; mais celui qui passe outre ? Il meurt de soif ; mais celui qui traverse les déserts ? Il est arrêté par les montagnes ; mais celui qui franchit le col ? Où est-il ? qu’a-t-il vu ? Pourquoi y en a-t-il tant parmi ceux qui passent chez moi qui piquent directement au nord et qui, à peine dans la solitude, obliquent brusquement à l’ouest ?

La plupart vont à Santa Fé, cette colonie mexicaine avancée dans les montagnes Rocheuses, mais ce ne sont que de vulgaires marchands que le gain facile attire et qui ne s’occupent jamais de ce qu’il y a plus loin.

Johann August Suter est un homme d’action.

Il bazarde sa ferme et réalise tout son avoir. Il achète trois wagons couverts, les remplit de marchandises, monte à cheval armé du fusil à deux coups. Il s’adjoint à une compagnie de trente-cinq marchands qui se rendent à Santa Fé, à plus de 800 lieues. Mais l’affaire était mal montée, l’organisation peu sérieuse et ses compagnons, des vauriens qui s’égaillèrent rapidement. Aussi bien Suter y aurait tout perdu, car la saison était trop avancée, s’il ne s’était établi parmi les Indiens de ces territoires, aux extrêmes confins du monde civilisé, troquant et trafiquant.

Et c’est là, chez ces Indiens, qu’il apprend l’existence d’un autre pays, s’étendant encore beaucoup plus loin à l’ouest, bien au-delà des montagnes Rocheuses, au-delà des vastes déserts de sable. Enfin il en sait le nom.

La Californie.

Mais pour se rendre dans ce pays, il doit s’en retourner en Missouri.

Il est hanté.

Chapitre III

8

Juin 1838, au Fort Independence, sur les frontières de l’État de Missouri, au bord du fleuve du même nom.

Les caravanes se préparent.

C’est un désordre fou d’animaux et de marchandises. On s’interpelle dans toutes les langues. Des Allemands, des Français, des Anglais, des Espagnols, des Indiens, des Nègres se bousculent affairés.

Les départs s’effectuent à cheval, en voiture, en longues théories de wagons couverts tirés par douze couples de bœufs. Certains partent seuls, d’autres en nombreuse compagnie. Les uns rentrent aux États-Unis, les autres en sortent, tirent au sud, vers Santa Fé, ou au nord, dans la direction du grand col qui franchit les montagnes.

Les pionniers qui s’en vont de l’avant, sans esprit de retour, à la recherche de terres plus fertiles ou d’un coin qui sera leur nouvelle patrie, sont bien rares. La plupart de ces gens sont des marchands, des chasseurs ou des trappeurs qui s’équipent en vue des grands froids des pays de l’Hudson Bay. S’ils atteignent les rives des grands fleuves glacés qui n’ont pas encore de nom, mais où fourmillent les castors et les bêtes aux fourrures précieuses, ils reviendront dans trois ou sept ans ; de même, les marchands reviendront l’année prochaine renouveler leur stock d’articles de traite. Aussi tous assistent au départ d’une petite troupe bien armée qui se compose de Johann August Suter, du capitaine Ermatinger, de cinq missionnaires et de trois femmes. La garnison du fort tire un feu de salve en leur honneur quand ils s’engagent sur la piste qui les mènera en extrême ouest, en Californie.

9

Durant les trois mois qu’il vient de passer à Fort Independence, Johann August Suter a mûri son plan. Sa résolution est prise.

Il ira en Californie.

Il connaît la piste jusqu’à Fort Van Couver, le dernier, et si certains renseignements qu’il a pu se procurer ne sont pas trompeurs, il saura continuer plus loin.

La Californie n’attire encore l’attention ni de l’Europe ni des États-Unis. C’est un pays d’une richesse incroyable. La république de Mexico s’est approprié les trésors accumulés durant des siècles dans les Missions. Il y a des terres, des prairies, des troupeaux innombrables qui sont à la merci d’un coup de main.

Il faut oser et réussir.

On peut s’en emparer.

Il est prêt.

10

La piste s’étend sur des milliers de lieues, flanquée, tous les cent milles, d’un fort en bois entouré d’une palissade. Les garnisons, munies même de canon, luttent avec les Peaux Rouges. C’est une guerre d’atrocités et d’horreurs. Il n’y a pas de pardon. Malheur à la petite troupe qui tombe entre les mains des sauvages ou dans l’embuscade dressée par les chasseurs de scalps.

Suter est tout décidé.

Il chevauche, en tête, monté sur son mustang « Wild Bill » et siffle un air du carnaval de Bâle, un air de fifre. Il pense au petit garçon de Rünenberg à qui il avait donné son dernier écu. Alors il arrête son cheval. Pile ou face ? Et tandis que le doublon monte au ciel comme une alouette : pile, gagne ; face, perd. C’est pile. Il réussira. Et il se remet en marche sans même avoir arrêté ses compagnons, mais plein d’une force nouvelle. Première et dernière hésitation. Maintenant, il ira jusqu’au bout.

Ses compagnons de route sont : le capitaine Ermatinger, un officier qui va relever le commandant du Fort Boisé ; les cinq missionnaires, cinq Anglais envoyés par la Société biblique de Londres pour étudier les dialectes des tribus indiennes Cree, au nord de l’Orégon ; les trois femmes, des blanches qui sont les trois femmes de ces sept hommes. Tous le quitteront en cours de route, Suter continuera seul, à moins qu’il ne continue seul avec les trois femmes.