Il n’empêche que cette sensation de se retrouver dans un milieu familier était tout de même agréable. En dépit du fait qu’elle se sente légèrement décalée, elle avait tout de même l’impression de ne pas avoir été absente pendant si longtemps, après tout. Elle traversa le hall d’entrée, se présenta à la réception et se dirigea vers les ascenseurs comme si sa dernière visite remontait à la semaine dernière. Même l’espace confiné de l’ascenseur était réconfortant, au moment où elle monta vers le bureau du directeur adjoint Duran.
Quand elle sortit de l’ascenseur et entra dans la salle d’attente de Duran, elle vit la même réceptionniste qui se trouvait déjà au même poste un an plus tôt. Elles n’avaient jamais été spécialement proches mais la réceptionniste se leva de sa chaise et se précipita pour venir la saluer.
« Kate ! Je suis vraiment contente de te voir ! »
Heureusement, le nom de la réceptionniste lui revint en mémoire juste au bon moment. « Ça me fait plaisir aussi, Dana, » dit Kate.
« J’ai toujours pensé que la retraite, ce ne serait pas ton truc, » plaisanta Dana.
« De fait, c’est d’un ennui mortel. »
« Vas-y, entre, » dit Dana. « Il t’attend. »
Kate frappa à la porte du bureau, en se rendant compte que même la réponse un peu bourrue qu’elle entendit de l’autre côté de la porte la mettait à l’aise.
« C’est ouvert, » dit la voix du directeur adjoint Vince Duran.
Kate ouvrit la porte et entra. Elle était prête à voir Duran, elle s’était préparée psychologiquement à cette réunion. Mais en revanche, ce à quoi elle ne s’attendait pas, c’était de voir son ancien partenaire. Logan Nash lui sourit dès qu’il la vit et se leva de l’une des chaises qui se trouvaient devant le bureau de Duran.
Duran regarda un moment ailleurs, le temps des retrouvailles. Kate et Logan Nash s’embrassèrent en une étreinte amicale. Elle avait travaillé avec Logan pendant les huit dernières années de sa carrière. Il avait dix ans de moins qu’elle mais il était déjà bien parti pour avoir une carrière brillante au moment où elle était partie à la retraite.
« Ça me fait vraiment plaisir de te revoir, Kate, » lui dit-il tout bas à l’oreille, au moment où ils s’embrassèrent.
« À moi aussi, » dit-elle. Elle fut comblée de joie en se rendant tout doucement compte que, peu importe ce qu’elle en disait, cette partie de sa vie lui avait profondément manqué au cours de l’année qui s’était écoulée.
Une fois qu’ils eurent terminé de s’embrasser, ils s’assirent en face de Duran avec un air un peu gêné. Lorsqu’ils travaillaient ensemble, ils s’étaient retrouvés assis exactement au même endroit à de nombreuses reprises. Mais ça n’avait jamais été pour une question de discipline.
Vince Duran prit une profonde inspiration, puis soupira. Kate ne parvenait pas encore à dire à quel point il était fâché.
« Bon, ne tournons pas autour du pot, » dit Duran. « Kate, vous savez pourquoi vous êtes là. J’ai promis au commissaire Budd que je gérerais efficacement cette situation. Il avait l’air OK avec ça et je suis presque certain que toute cette histoire d’avoir jeté un suspect en bas de son porche finira aux oubliettes. Mais ce que je voudrais savoir, en revanche, c’est comment vous avez atterri sur le porche de ce pauvre type. »
Elle sut tout de suite que la conversation désagréable à laquelle elle s’attendait n’aurait pas lieu. Duran était un type vraiment imposant, il devait peser plus de cent kilos et ce n’était que du muscle. Il avait passé du temps en Afghanistan quand il avait une vingtaine d’années et bien qu’elle ne sache pas en détails ce qu’il y avait fait, il y avait de nombreuses rumeurs à ce sujet. Il avait vu et fait des choses plutôt dures et ça se reflétait souvent sur les traits de son visage. Mais aujourd’hui, il avait l’air de bonne humeur. Elle se demanda si ce n’était pas lié au fait qu’il ne s’adressait plus à elle comme à quelqu’un qui travaillait pour lui. Elle avait presque l’impression de discuter avec un vieil ami.
Par conséquent, il lui fut facile de lui parler du meurtre de Julie Hicks – la fille de son amie, Deb Meade. Elle lui raconta sa visite à la maison des Meade et combien les parents avaient l’air certain concernant l’ex petit ami. Puis elle expliqua en détails la scène sur le porche de Neilbolt, comment elle avait commencé d’abord par se défendre, puis comment elle avait peut-être poussé le bouchon un peu trop loin.
Elle entendit à plusieurs reprise Logan glousser en silence. Pendant ce temps, Duran resta surtout impassible. Quand elle eut terminé, elle attendit sa réaction et elle fut surprise de voir qu’il se contenta de hausser les épaules.
« Écoutez… pour ma part, » dit-il, « je ne vois pas où est le problème. Bien que vous ayez peut-être été mettre votre nez dans une affaire qui ne vous concernait pas, ce type n’aurait pas dû lever la main sur vous – surtout après que vous lui ayez dit que vous étiez un ancien agent du FBI. C’était idiot de sa part. Le seul truc que je pourrais vous reprocher, c’est de l’avoir menotté. »
« Comme je vous le disais… j’admets avoir été un peu trop loin. »
« Toi ? » demanda Logan, en feignant la surprise. « Non ! »
« Que savez-vous au sujet de cette affaire ? » demanda Duran.
« Juste qu’elle a été assassinée chez elle, alors que son mari était en voyage d’affaires. Que l’ex petit ami était la seule piste solide et que la police l’a écarté de manière plutôt rapide. Mais j’ai appris plus tard que son alibi était en béton. »
« Rien d’autre ? » demanda Duran.
« On ne m’a rien dit d’autre. »
Duran hocha la tête et un sourire amical se dessina sur ses lèvres. « Alors, à part jeter des hommes en bas de leur porche, comment ça se passe la retraite ? »
« C’est mortel, » admit-elle. « C’était super les premières semaines mais j’ai très vite commencé à m’ennuyer. Mon boulot me manque. J’ai lu une quantité incroyable d’ouvrages de criminologie et je regarde bien trop d’émissions criminelles à la télé. »
« Vous seriez surprise de savoir le nombre de fois où j’entends ça venant d’agents pendant leurs premiers mois de mise à la retraite. Certains appellent en suppliant pour avoir un boulot quelconque. N’importe quoi. Même du bête travail d’écoutes téléphoniques. »
Kate ne dit rien mais hocha la tête pour indiquer qu’elle comprenait très bien ce sentiment.
« Mais le fait est que vous n’avez pas appelé, » dit Duran. « Pour être tout à fait franc, je m’attendais à ce que vous le fassiez. J’ai toujours pensé que vous ne pourriez pas décrocher aussi facilement. Et ce petit incident me prouve bien que j’avais raison. »
« Avec tout le respect que je vous dois, » dit Kate, « vous m’avez convoquée ici pour me réprimander pour ce que j’ai fait ou pour me rappeler combien j’ai du mal à oublier mon ancien boulot ? »
« Pour aucune de ces deux raisons, » dit Duran. « Hier, j’ai consulté votre dossier après avoir reçu l’appel de Richmond. J’ai vu que vous alliez témoigner à une demande de libération conditionnelle. C’est bien ça ? »
« Oui, effectivement. C’est pour l’affaire Mueller. Double homicide. »
« Est-ce que c’est la première fois qu’on vous contacte au sujet du boulot depuis que vous êtes à la retraite ? »
« Non, » dit-elle, en étant sûre qu’il connaissait déjà la réponse. « L’assistant d’un agent m’a appelée deux mois après mon départ en retraite pour me poser des questions concernant une vieille affaire sur laquelle j’avais travaillé en 2005. Les types du département des recherches m’ont également appelée quelques fois pour me poser des questions concernant ma méthodologie dans de vieilles enquêtes. »
Duran hocha la tête et s’appuya contre le dossier de sa chaise. « Vous devriez également savoir que certaines de vos premières enquêtes sont utilisées en tant qu’études de cas par les instructeurs de l’académie pour donner leurs cours. Vous avez laissé des traces ici au FBI, agent Wise. Et franchement, j’avais espéré que vous seriez l’un de ces agents qui se mettraient à appeler pour savoir ce que vous pourriez faire pour aider même après votre départ en retraite. »
« Est-ce que vous voulez dire par là que vous aimeriez que je participe à certaines enquêtes ? » demanda Kate. Elle fit de son mieux pour que le ton de sa voix n’ait pas l’air trop optimiste.
« Eh bien, pas de manière aussi claire et nette. Nous pensions éventuellement à faire revenir un agent ou l’autre avec des états de service brillants pour travailler sur de vieilles affaires. Mais rien non plus à long terme, ni à temps plein. Et quand nous en avons parlé, votre nom a été le seul qui revenait à chaque fois. Maintenant, avant que vous ne soyez trop excitée à l’idée, il faut que vous sachiez que ce n’est pas pour tout de suite. Nous voulons toujours que vous vous reposiez. Que vous preniez du temps pour vous. Vraiment des vacances. »
« Je peux faire ça, » dit Kate. « Merci. »
« Ne me remerciez pas encore, » dit Duran. « Ça pourrait être seulement dans quelques mois. Et j’ai bien peur de devoir revenir sur cette offre si vous rentrez chez vous et que vous commencez à tabasser des hommes beaucoup plus jeunes que vous devant leur porte. »
« Je pense que je vais pouvoir me retenir, » dit Kate.
À nouveau, Logan ne put s’empêcher de pouffer de rire à ses côtés.
Duran avait l’air tout aussi amusé quand il se mit debout.
« Maintenant… si vous voulez vraiment donner un coup de main, j’ai bien peur qu’il faille y passer par l’un des aspects les moins agréables de ce boulot. »
En croyant qu’il voulait parler de paperasseries, Kate soupira. « Des formulaires ? Des documents ? »
« Oh non, rien de tel, » dit Duran. « J’ai organisé une réunion pour qu’on s’y mette. Je me suis dit que ce serait le meilleur moyen de maintenir tout le monde au courant. »
« Ah, je déteste les réunions. »
« Oh, je sais, » dit Duran. « Je m’en rappelle. Mais bon… quel meilleur moyen de vous souhaiter la bienvenue ? »
Logan gloussa à ses côtés au moment où ils se levèrent pour suivre Duran hors de son bureau. Pour Kate, tout avait l’air étrangement familier.
***
Finalement, la réunion s’avéra plutôt agréable. Il n’y avait que trois personnes qui les attendaient dans la petite salle de conférence au bout du couloir. Deux d’entre elles étaient des agents, un homme et une femme. D’autant que Kate pouvait s’en rappeler, elle ne connaissait aucun des deux. La troisième personne était un homme qui avait un air vaguement familier. Si elle se rappelait bien, son nom de famille était Dunn. Au moment où Duran referma la porte derrière eux, l’un des agents se leva et tendit la main en direction de Kate.
« Agent Wise, je suis vraiment enchanté de vous rencontrer, » dit-il.
Elle tendit le bras d’un air gêné et lui serra la main. Au moment où elle le fit, l’agent eut l’air de se rendre compte qu’il s’était un peu donné en spectacle.
« Désolé, » dit-il tout bas, avant de retourner rapidement s’asseoir.
« Pas de soucis, agent Rose, » dit Duran, en s’asseyant au bout de la table. « Vous n’êtes pas le premier agent à être subjugué par la présence de la légendaire Kate Wise. » Il dit ces mots sur un ton un peu sarcastique et décocha un léger sourire à Kate.
L’homme qu’elle pensait être Dunn se démarquait par rapport aux deux autres – qui étaient visiblement des agents plus jeunes. Il devait être une sorte de superviseur ; ça se voyait à son expression stoïque et à son costume tiré à quatre épingles.
« Agent Wise, » dit Duran, « voici les agents Rose et DeMarco. Ils sont partenaires depuis environ sept mois, mais seulement parce que moi-même et l’assistant directeur Dunn n’avons pas encore pu leur trouver la place qui leur convient. Ils ont tous les deux des atouts uniques. Et si vous finissez par diriger cette affaire à Richmond, l’un d’entre eux travaillera probablement avec vous. »
L’agent Rose avait encore l’air gêné mais ne se laissa pas déconcentrer. Kate ne se rappelait pas à quand remontait la dernière fois où quelqu’un avait était aussi visiblement secoué par le fait de la rencontrer. Ça devait être au cours de la dernière année de sa carrière quand une personne lui avait été assignée de Quantico pour travailler une journée avec elle en laboratoire. C’était un véritable exercice d’humilité mais également un peu déconcertant.
« Je voudrais ajouter, » dit l’assistant directeur Dunn, « que le directeur adjoint Duran et moi-même sommes ceux qui avons encouragé ce programme de réintégration d’agents récemment partis à la retraite. Je ne sais pas s’il vous l’a déjà dit, mais votre nom a été le premier à être cité. »
« Oui, » acquiesça Duran. « Il va sans dire que nous apprécierions vraiment que vous gardiez ça secret pour l’instant. Et que vous excelliez dans votre boulot, bien entendu. »
« Je ferai de mon mieux, » dit Kate. Elle commença à sentir qu’ils cherchaient à lui mettre un peu la pression. Mais ça ne la dérangeait pas. Au contraire… elle fonctionnait généralement beaucoup mieux sous pression.
« OK, » dit Duran. « En attendant, est-ce que vous voulez nous faire part des détails de cette affaire, tels que vous les avez pour l’instant ? »
Kate hocha la tête et eut instantanément la sensation de retrouver son rôle. C’était comme si elle n’avait jamais été absente un seul jour, et encore moins une année. Alors qu’elle les informait sur ce qui se passait à Richmond et comment elle avait fini par être impliquée, les agents Rose et DeMarco ne la quittèrent pas des yeux, essayant peut-être de voir de quelle manière ils pourraient travailler avec elle.
Mais elle ne se laissa pas distraire par ça. Alors qu’elle passait en revue les détails de l’affaire, elle eut l’impression de retourner dans le passé.
Et ce passé était bien supérieur à ce qu’elle avait pu vivre au présent.
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