Keri sonna à la porte, qui s’ouvrit immédiatement. Une fois à l’intérieur, elle comprit que le code postal était justement le principal argument de vente de cet immeuble – en tout cas, ce n’était pas son architecture. En marchant vers l’ascenseur, Keri remarqua la peinture rose défraîchie sur les murs et l’aspect miteux de la moquette. Une odeur de moisi flottait dans l’air.
L’ascenseur était encore pire, comme si on avait vomi tellement de fois dedans que l’odeur, à présent, ne partait plus. La cabine se hissa avec plusieurs cahots jusqu’au troisième étage, et les portes s’ouvrirent en grinçant. Keri mit le pied sur le palier en se jurant de prendre l’escalier pour redescendre.
Elle frappa à la porte de l’appartement 323, ôta la sécurité de son pistolet et posa la main dessus dans une position nonchalante. Elle entendit un bruit caractéristique de vaisselle qu’on empilait sans cérémonie dans l’évier, ainsi que le bruit d’un objet qu’on ramassait par terre et qu’on jetait dans une armoire.
Maintenant, elle est en train de vérifier son allure dans un miroir près de la porte d’entrée. Voilà son ombre derrière le judas – elle regarde qui je suis... La porte devrait s’ouvrir dans trois, deux...
Le verrou cliqueta et la porte s’ouvrit sur une femme mince, qui semblait troublée. Becky devait avoir le même âge que Kendra, puisqu’elles s’étaient rendues à une réunion d’anciens élèves ensemble, mais elle semblait bien plus vieille, plus proche de la cinquantaine que des quarante ans. Ses cheveux étaient d’un brun terne, manifestement teints, et ses yeux étaient aussi injectés de sang que l’étaient normalement ceux de Keri. Le premier adjectif qui vint à l’esprit de Keri pour la décrire fut « fébrile ».
« Becky Sampson ? » demanda-t-elle, comme l’exigeait le protocole, bien que la femme en face d’elle corresponde tout à fait à la photo d’identité qu’elle avait reçue en chemin. Sa main droite reposait toujours sur la crosse de son pistolet.
« Oui, c’est moi. Agent Locke ? Rentrez, je vous prie. »
Keri s’avança, tout en conservant une certaine distance entre elle et Becky. Même les aspirantes mondaines de Beverly Hills maigres comme des clous pouvaient faire des ravages si on baissait la garde. Keri s’efforça de ne pas montrer à quel point l’odeur de moisi de l’appartement la dérangeait.
« Je peux vous offrir quelque chose à boire ? demanda Becky.
— Un verre d’eau, merci beaucoup », répondit Keri, surtout parce que cela lui permettrait de prendre la mesure de l’appartement pendant que son hôte était dans la cuisine.
Les fenêtres étaient fermées et les rideaux tirés, ce qui rendait l’atmosphère étouffante. Chaque objet semblait recouvert d’une couche de poussière, de la table aux étagères, en passant par le canapé. Keri entra dans le salon et vit qu’elle se trompait : un emplacement de la table basse était luisant et dépourvu de poussière, comme s’il était perpétuellement en usage. Par terre, en face de cet emplacement, Keri remarqua quelques traces d’une espèce de poudre blanche. Elle s’agenouilla, ignorant la douleur dans ses côtes, et jeta un coup d’œil sous la table. Elle vit un billet d’un dollar à moitié enroulé, recouvert de poussière blanche.
Elle entendit le robinet être fermé et se releva avant que Becky ne revienne dans la pièce, deux verres d’eau à la main.
Becky fut visiblement surprise de trouver Keri si loin de la porte d’entrée, où elle l’avait laissée. Elle la regarda d’un air soupçonneux avant de jeter un coup d’œil involontaire à l’espace propre de sa table basse.
« Ça vous dérange si je m’assois ? demanda Keri. J’ai une côte fêlée et ça fait mal de rester debout trop longtemps.
— Non, asseyez-vous, dit-elle, visiblement apaisée. Comment est-ce arrivé ?
— Un kidnappeur d’enfants m’a mis une raclée. »
Becky écarquilla les yeux, choquée.
« Oh, ce n’est rien, la rassura Keri. Je lui ai tiré dessus après ça. Il est mort. » Certaine à présent qu’elle avait déstabilisé Becky, elle entra dans le vif du sujet :
« Je vous ai dit au téléphone que je voulais vous parler de Kendra Burlingame. Elle a disparu. Savez-vous où elle pourrait se trouver ? »
Les yeux de Becky s’écarquillèrent encore plus. « Quoi ? fit-elle.
— Personne n’a de nouvelles depuis hier matin. Quand est-ce que vous lui avez parlé pour la dernière fois ? »
Becky s’apprêtait à répondre quand elle fut prise d’une quinte de toux. Au bout d’un instant, elle fut suffisamment remise pour répondre : « Nous sommes allées faire du shopping dimanche après-midi. Elle cherchait une nouvelle robe pour le gala de bienfaisance de ce soir. Vous êtes vraiment sûre qu’elle a disparu ?
— Oui, nous en sommes sûrs. Comment se comportait-elle, samedi ? Est-ce qu’elle paraissait anxieuse ou stressée ?
— Pas vraiment », répondit Becky en reniflant. Elle s’empara d’un mouchoir. « Je veux dire, elle avait quelques petits problèmes avec la collecte de fonds dont elle s’occupait, des histoires de traiteurs... Mais rien à quoi elle n’ait pas déjà été confrontée des millions de fois. Elle n’était pas si embêtée que ça.
— Et qu’est ce que ça vous faisait, à vous, Becky ? De l’écouter passer des coups de fil au sujet d’un gala élégant, pendant qu’elle achetait une robe hors de prix ?
— Qu’est ce que vous voulez dire ?
— Je veux dire, vous êtes sa meilleure amie, n’est-ce pas ?
— Depuis presque vingt-cinq ans, répondit Becky en hochant la tête.
— Et elle habite dans un palais dans les collines de Beverly Hills, tandis que vous êtes dans cet appartement deux pièces. Vous n’êtes pas envieuse ? »
Elle scruta la réaction de Becky. Celle-ci avala une gorgée d’eau, puis toussa comme si elle avait fait une fausse route. Elle répondit après quelques secondes.
« Oui, parfois je suis envieuse. Je l’admets. Mais ce n’est pas la faute de Kendra, si la vie n’a pas été aussi généreuse avec moi. Franchement, c’est difficile de lui en vouloir pour quoi que ce soit. C’est la personne la plus gentille que je connaisse. J’ai eu quelques... problèmes... et elle a toujours été là pour me soutenir quand j’ai traversé des mauvaises passes. »
Keri devinait quelles étaient ces mauvaises passes, mais ne dit rien. Becky poursuivit : « De plus, Kendra est très généreuse, mais sans me traiter de haut. C’est un équilibre très délicat à atteindre. En fait, c’est elle qui m’a acheté la robe que je porte pour le gala de ce soir, si tant est qu’il aura toujours lieu. Vous savez s’il aura lieu ?
— Je n’en sais rien, fit Keri avec brusquerie. Parlez-moi de sa relation avec Jeremy. Comment est leur mariage ?
— C’est un bon mariage. Ils sont d’excellents partenaires, une équipe très efficace.
— Ça ne me semble pas très romantique. C’est un mariage ou une entreprise ?
— Je ne pense pas qu’ils aient jamais été très passionnés. Jeremy est un peu réservé, un homme terre-à-terre. Et Kendra est passée par une phase un peu échevelée, à fréquenter des hommes difficiles, quand elle avait la vingtaine. Je pense qu’elle était ravie de trouver un homme stable et gentil, sur lequel elle pouvait compter. Je sais qu’elle l’aime, mais ce n’est pas Roméo et Juliette, si c’est ça que vous voulez dire.
— D’accord. Et a-t-elle jamais dit que cette passion lui manquait ? demanda Keri. Est-ce qu’il se pourrait qu’elle soit partie pour rechercher ces sensations, par exemple à un voyage d’anciens élèves ?
— Pourquoi me demandez-vous ça ?
— Jeremy m’a dit qu’elle était un peu chamboulée lorsque vous êtes revenues de la dernière réunion d’anciens élèves.
— Ah, ça », fit Becky. Elle renifla encore avant d’être prise par une autre quinte de toux. Alors qu’elle s’efforçait de maîtriser sa toux, Keri remarqua un cafard traverser la pièce, et s’obligea à l’ignorer. Becky reprit : « Faites-moi confiance, elle n’a pas fait de bêtises pendant ce voyage. C’est même le contraire. Un ex-petit ami, un mec nommé Coy Brenner, n’a pas arrêté de lui faire des avances. Elle est restée polie, mais il était plutôt acharné.
— Acharné à quel point ?
— Au point que c’est devenu gênant. Il était un de ces hommes difficiles dont je vous ai parlé. Quoi qu’il en soit, il ne lâchait pas l’affaire. À la fin de la réunion, il a mentionné qu’il irait la trouver chez elle. Je pense que ça l’a dérangée.
— Il habite ici ?
— Il a habité à Phoenix pendant longtemps – c’est là que la réunion s’est tenue. Nous avons tous grandi là-bas. Mais il a dit qu’il avait déménagé à San Pedro, récemment, et qu’il travaillait dans le port.
— C’était il y a combien de temps, cette réunion ?
— Il y a deux semaines. Vous pensez vraiment qu’il peut avoir quelque chose à voir là-dedans ?
— Je n’en sais rien, mais on va vérifier. Où puis-je vous trouver si je dois vous recontacter ?
— Je travaille à une agence de castings à Robertson, à dix minutes de marche d’ici. Mais j’ai toujours mon téléphone sur moi. N’hésitez pas à m’appeler. Si je peux faire quoi que ce soit, demandez-moi. Elle est comme une sœur pour moi. »
Keri dévisagea Becky Sampson, essayant de décider si oui ou non mentionner l’éléphant dans la pièce. Ses reniflements permanents, sa toux, son domicile mal tenu, la poussière blanche et le billet roulé sur le sol suggéraient que cette femme était largement dépendante à la cocaïne.
« Merci de m’avoir accordé votre temps », finit-elle par dire. Elle préférait s’abstenir pour le moment. L’addiction de Becky pouvait se révéler utile par la suite. Mais pour l’instant, elle n’avait pas besoin de s’en servir – ça n’avait aucun avantage stratégique. Keri quitta l’appartement et prit les escaliers, malgré les élancements dans son épaule et sa cage thoracique.
Elle se sentait légèrement coupable de garder au chaud la consommation de cocaïne de Becky pour s’en servir plus tard. Mais ce sentiment s’effaça rapidement lorsqu’elle sortit de l’immeuble et respira une bouffée d’air frais. Elle était enquêtrice, et non psychologue. Tout ce qui pouvait l’aider à résoudre une enquête était acceptable.
En repartant en voiture vers l’autoroute, elle appela le commissariat. Elle devait obtenir le plus d’informations possibles sur l’ex-petit ami obstiné de Kendra.
Elle allait lui rendre une visite impromptue.
О проекте
О подписке