« Tu ne peux pas faire des choses pareilles, » dit Bryers au moment où ils se retrouvèrent dans la voiture. Il avait pris place derrière le volant.
« Je ne peux pas faire quoi ? »
Il soupira et fit de son mieux pour avoir l’air sincère et éviter un ton de remontrance. « Je sais que tu n’as probablement jamais été auparavant dans une situation exactement identique, mais tu ne peux pas dire à la famille d’une victime que non, le tueur ne s’en tirera pas. Tu ne peux pas leur donner de l’espoir quand il n’y en a pas. Et même s’il y en avait, tu ne peux pas dire des choses pareilles. »
« Je sais, » dit-elle, sur un ton déçu. « Je l’ai su au moment où ces mots sont sortis de ma bouche. Je suis désolée. »
« Pas besoin de t’excuser. Essaie juste de garder l’esprit clair, OK ? »
« OK. »
Comme Bryers connaissait mieux la ville que Mackenzie, c’est lui qui conduisit jusqu’au département des transports publics. Il conduisait rapidement et demanda à Mackenzie d’appeler pour annoncer leur visite et de s’assurer qu’ils puissent parler avec quelqu’un qui pourrait répondre à leurs questions afin qu’ils soient rapidement sortis de là. C’était une méthode vraiment simple, mais Mackenzie était impressionnée par son efficacité. C’était bien loin de ce qu’elle avait connu au Nebraska.
Durant la demi-heure de trajet, Bryers lui posa de nombreuses questions. Il voulait tout savoir sur son expérience dans les forces de police au Nebraska, et surtout sur l’affaire du tueur épouvantail. Il lui posa des questions sur ses études et sur ses centres d’intérêt. Ça ne la dérangeait pas de lui donner des informations superficielles mais elle évita d’aller en profondeur – surtout parce que lui-même ne se dévoilait pas beaucoup non plus.
En fait, Bryers était assez réservé. Quand Mackenzie lui avait posé des questions sur sa famille, il en parla de la manière la plus générale possible sans être désobligeant. « Une femme, deux fils à l’université et un chien en fin de vie. »
Bon, pensa Mackenzie. C’est seulement notre premier jour ensemble et il ne me connaît pas du tout – à part ce qu’il a lu à mon sujet dans les journaux il y a six mois et ce qu’il y a dans mon dossier de l’académie. C’est normal qu’il garde des réserves.
Quand ils arrivèrent au département des transports publics, Mackenzie avait toujours une opinion plus que favorable concernant Bryers mais il y avait aussi une certain tension entre eux qu’elle ne parvenait pas à définir. Peut-être qu’il ne la sentait pas, peut-être que c’était juste elle. Le fait qu’il ait littéralement balayé toutes les questions qu’elle lui avait posées au sujet de son travail, la mettait mal à l’aise. Elle se rappela aussi qu’il ne s’agissait pas encore de son boulot. Elle avait été embarquée sur cette affaire pour faire une faveur à Ellington, une manière de se roder, d’une certaine façon.
Elle était également impliquée dans tout ça suite à des arrangements dans l’ombre où la hiérarchie avait décidé de parier sur elle. Ça ajoutait un tout autre niveau de danger non seulement pour elle, mais aussi pour les personnes avec lesquelles elle travaillait – Bryers et Ellington compris.
Le département des transports publics se trouvait dans un édifice qui abritait dix autres départements. Mackenzie suivit du mieux qu’elle put l’agent Bryers à travers les corridors. Il marchait rapidement, faisant de temps en temps un signe de la tête aux personnes qu’ils rencontraient, comme s’il venait souvent ici. Quelques personnes avaient l’air de le reconnaître, lui souriaient ou le saluaient de la main. La journée se terminait et tout le monde avait l’air de s’affairer en attendant dix-sept heures.
Quand ils arrivèrent à la section de l’édifice qui les concernait, Mackenzie prit un moment pour apprécier l’instant. Quatre heures auparavant, elle sortait de la classe de McClarren et maintenant elle était plongée jusqu’au cou dans une affaire d’homicide et elle travaillait avec un agent plein d’énergie et exceptionnellement bon dans son boulot.
Ils s’approchèrent d’un comptoir et Bryers se pencha légèrement au-dessus en regardant la jeune femme qui était assise derrière un bureau juste devant eux. « On a appelé pour parler avec quelqu’un qui s’occupe des horaires de bus, » dit-il à la femme. « Agents White et Bryers. »
« Ah oui, » dit la réceptionniste. « Vous pouvez parler avec madame Percell. Elle est dans le garage des bus. Vous continuez dans le corridor, vous descendez les escaliers et c’est à l’arrière. »
Ils suivirent les indications de la réceptionniste et se dirigèrent vers l’arrière de l’édifice où le bruit de moteurs et le grondement de machines se faisaient entendre. L’édifice était conçu pour que le bruit ne soit pas perceptible dans les parties les plus animées mais à l’arrière, on aurait dit un garage de réparation pour voitures.
« Quand on sera en présence de cette madame Percell, » dit Bryers, « je voudrais que tu mènes la conversation. »
« OK, » dit Mackenzie, avec l’impression bizarre qu’elle passait encore un test.
Ils descendirent les escaliers en suivant un panneau qui indiquait Garage à bus. En bas, un étroit corridor menait à un petit bureau ouvert. Un homme portant un bleu de travail se tenait derrière un vieil ordinateur et tapait quelque chose. À travers une grande baie vitrée, Mackenzie pouvait voir un immense garage. Quelques bus de la ville y étaient garés, en vue de passer à l’entretien. Alors qu’elle regardait autour d’elle, une porte s’ouvrit à l’arrière du bureau et une femme rondouillette et enjouée fit son entrée.
« Vous êtes les types du FBI ? »
« Oui, c’est nous, » dit Mackenzie. À côté d’elle, Bryers montra rapidement son badge – probablement parce qu’elle n’en avait pas encore un à montrer. Percell eut l’air satisfaite et commença tout de suite à parler.
« D’après ce que j’ai compris, vous avez des questions concernant les horaires de bus et la rotation des chauffeurs, » dit-elle.
« Tout à fait, » répondit Mackenzie. « Nous voudrions savoir quel est le bus qui a desservi un arrêt en particulier il y a trois jours et, si possible, parler avec le chauffeur. »
« Bien sûr, » dit-elle. Elle se dirigea vers le petit bureau où le mécanicien était occupé à taper à l’ordinateur et le poussa gentiment du coude. « Doug, laisse-moi prendre les commandes, veux-tu ? »
« Avec plaisir, » dit-il en souriant. Il se leva du bureau et se dirigea vers le garage pendant que madame Percell s’asseyait derrière l’ordinateur. Elle appuya sur quelques touches puis leva fièrement la tête vers eux, manifestement enchantée de pouvoir rendre service.
« Où se trouve l’arrêt en question ? »
« Au coin de la rue Carlton et de la rue Queen. » dit Mackenzie.
« À quelle heure la personne serait-elle montée ? »
« À huit vingt du matin. »
Madame Percell tapa rapidement les informations à l’ordinateur et étudia l’écran durant un instant avant de donner sa réponse. « C’était le bus numéro 2021, conduit par Michael Garmond. Ce bus dessert trois autres arrêts avant de revenir au même arrêt de bus à neuf heures trente-cinq. »
« Nous aimerions parler avec monsieur Garmond, » dit Mackenzie. « Pourriez-vous nous donner ses coordonnées, s’il vous plaît ? »
« Je peux faire mieux que ça, » dit madame Percell. « Michael est dans le garage en ce moment même. Il termine sa journée. Je vais voir si je peux le harponner pour vous. »
« Merci, » dit Mackenzie.
Madame Percell se précipita vers la porte du garage à une vitesse qui défiait sa taille. Mackenzie et Bryers la virent déambuler de manière experte dans le garage, à la recherche de Michael Garmond.
« Si seulement tout le monde pouvait être aussi enthousiaste à l’idée d’aider les fédéraux, » dit Bryers, avec un large sourire. « Crois-moi… ne t’habitue pas à ça. »
En moins d’une minute, madame Percell revint dans le petit bureau, suivie par un homme noir âgé. Il avait l’air fatigué mais, tout comme madame Percell, il avait l’air plus que ravi de pouvoir rendre service.
« Salut, les gars, » dit-il, avec un sourire fatigué. « Comment puis-je vous aider ? »
« Nous cherchons des informations concernant une femme qui est montée dans votre bus à l’arrêt de huit heures vingt, au coin de la rue Carlton et de la rue Queen, il y a trois jours, » dit Mackenzie. « Vous pensez pouvoir nous aider ? »
« Probablement, » dit Michael. « Il n’y a pas beaucoup de gens à cet arrêt le matin. Jamais plus de quatre ou cinq personnes. »
Bryers sortit son téléphone et le consulta durant un instant avant d’y afficher une photo de Susan Kellerman. « C’est elle, » dit-il. « Est-ce que ce visage vous est familier ? »
« Oh oui, bien sûr que je la reconnais, » dit Michael, sur un ton un peu trop excité au goût de Mackenzie. « Une gentille fille, Toujours très aimable. »
« Vous rappelez-vous où elle est descendue du bus il y a trois jours ? »
« Oui, je me rappelle, » dit Michael. « Et j’ai même pensé que c’était bizarre car tous les matins depuis deux semaines, elle descendait à un autre arrêt. Un jour, on s’était un peu parlé et elle m’avait dit que son bureau n’était qu’à deux pâtés de maisons de son arrêt habituel. Mais il y a trois jours, elle est descendue à la station de bus, au lieu de descendre à un arrêt. Je l’ai vue prendre un autre bus. J’ai pensé qu’elle avait peut-être trouvé un autre boulot et qu’elle faisait un autre trajet pour y arriver. »
« C’était où ? » demanda Mackenzie.
« Dupont Circle. »
« À quelle heure pensez-vous qu’elle soit descendue du bus ? »
« Probablement vers huit heures quarante-cinq, » répondit Michael. « Et certainement pas plus tard que neuf heures. »
« Je peux vérifier ça dans notre système, » dit madame Percell.
« Ce serait vraiment super, » dit Bryers.
Madame Percell retourna travailler derrière le petit bureau crasseux pendant que Michael regardait les agents avec un air de désespoir. Il regarda à nouveau la photo sur le téléphone de Bryers et fronça les sourcils. « Quelque chose de grave lui est arrivé ? » demanda-t-il.
« Oui, de fait, » dit Mackenzie. « Alors si vous vous rappelez de quoi que ce soit la concernant ce matin-là, ça nous aiderait beaucoup. »
« Et bien, elle avait un étui, pareil à celui que les représentants transportent avec eux. Pas une serviette mais un étui de mauvais goût, vous voyez ? Elle vendait des trucs pour gagner sa vie – des compléments nutritionnels et des trucs dans le genre. J’ai imaginé qu’elle avait un client à aller voir. »
« Vous savez dans quel bus elle est montée après être descendue du vôtre ? » demanda Mackenzie.
« Et bien, je ne me rappelle pas du numéro du bus mais je me rappelle d’avoir vu la rue Black Mill affichée comme destination sur le pare-brise. J’ai pensé que c’était un peu louche… aucune raison pour qu’une jolie fille comme ça aille dans ce coin de la ville. »
« Et pourquoi ? »
« Et bien, le quartier en soi, ça va, j’imagine. Les maisons ne sont pas trop mal et je pense que la majorité des habitants sont des gens bien. Mais c’est aussi un de ces endroits où les gens un peu moins bien se retrouvent et font leurs petites affaires. Quand j’ai été formé pour ce boulot il y a six ans, on nous avait prévenus des endroits où il fallait rester vigilant. Et la rue Black Mill était l’un d’entre eux. »
Mackenzie réfléchit à tout ça et estima qu’ils avaient obtenu toutes les informations utiles que pourrait détenir Michael Garmond. Elle avait envie d’avoir l’air efficace devant Bryers mais elle n’avait pas non plus envie d’avoir l’air de perdre du temps avec des détails.
« Merci beaucoup, monsieur Garmond, » dit Mackenzie.
Depuis le bureau, madame Percell ajouta : « Le bus s’est arrêté à Dupont Circle à huit heures quarante-huit. »
Ils prirent congé et se dirigèrent en silence vers les escaliers. Lorsqu’ils commencèrent à les monter, Bryers se mit à parler.
« Ça fait combien de temps que tu es à Quantico ? » demanda-t-il.
« Onze semaines. »
« Alors tu ne connais probablement pas la banlieue de la ville, hein ? »
« Non. »
« Tu n’es jamais allée à la rue Black Mill ? »
« Non, jamais, » dit Mackenzie.
« Tu ne rates pas grand-chose. Mais bon, on n’aura peut-être pas besoin d’aller si loin. On va commencer par Dupont Circle et jeter un œil dans les alentours. Peut-être qu’on pourra trouver quelque chose sur les caméras de sécurité. »
« Maintenant ? »
« Oui, maintenant, » dit Bryers. Il y avait une petite pointe d’agacement dans son ton, premier signe qu’il commençait à en avoir assez de trimballer une novice, même prometteuse. « Quand un tueur est en liberté, tu ne rentres pas chez toi après journée. »
Elle était sur le point de répliquer mais elle se ravisa. Il avait raison, de toute façon. Si elle avait appris quelque chose de son épreuve avec le tueur épouvantail, c’était que quand tu traquais un tueur qui n’avait apparemment pas de mode opératoire, chaque minute était précieuse.
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