L’appartement de Bill semblait avoir été cambriolé. Riley s’immobilisa dans l’entrée pendant une seconde, prête à tirer son arme au cas où l’intrus serait toujours là.
Puis elle se détendit. Ce n’étaient que des emballages de plats à emporter, des assiettes sales et des verres. C’était un foutoir, mais un foutoir domestique et personnel.
Elle appela Bill par son nom.
Pas de réponse.
Elle appela à nouveau.
Cette fois, elle crut entendre grogner dans une pièce attenante.
Le cœur battant, elle se précipita dans la chambre de Bill. La pièce était mal éclairée. Les rideaux étaient tirés. Bill était allongé sur son lit encore défait, dans des habits froissés. Il fixait le plafond du regard.
— Bill, pourquoi tu n’as pas répondu quand je t’appelais ? demanda-t-elle avec irritation.
— J’ai répondu, murmura-t-il. Tu ne m’as pas entendu. Tu peux arrêter de faire du bruit, s’il te plait ?
Riley aperçut la bouteille de bourbon presque vide sur la table de nuit. Elle comprit mieux ce qui se passait. Elle s’assit sur le lit à côté de Bill.
— J’ai passé une nuit difficile, dit Bill en se forçant à rire. Tu sais ce que c’est.
— Ouais, je sais, répondit Riley.
Après tout, le désespoir l’avait déjà poussée à boire.
Elle toucha son front en sueur. Elle n’imaginait que trop bien à quel point il était mal.
— Qu’est-ce qui t’a poussé à boire ? demanda-telle.
Bill grogna.
— Ce sont mes garçons, dit-il.
Puis il se tut. Riley n’avait pas vu les deux fils de Bill depuis longtemps. Ils devaient avoir neuf et onze ans maintenant.
— Qu’est-ce qu’ils ont ? demanda Riley.
— Ils sont venus me voir hier. Ça ne s’est pas bien passé. C’est un foutoir, ici. Et j’étais de mauvaise humeur. Ils avaient hâte de rentrer à la maison. Riley, c’est terrible. C’est terrible. Encore une visite comme ça et Maggie ne me laissera plus les voir. Elle cherche une excuse pour couper les ponts.
Bill émit un bruit qui ressemblait à un sanglot. Mais il n’avait même pas l’énergie de pleurer. Riley comprit qu’il avait déjà beaucoup pleuré tout seul.
Bill dit :
— Riley, si je ne vaux rien comme père, à quoi je sers ? Je ne suis même plus un bon agent. Qu’est-ce qu’il me reste ?
Riley sentit la tristesse lui serrer la gorge.
— Bill, ne dis pas ça. Tu es un père formidable. Et tu es un super agent. Peut-être pas aujourd’hui, mais tous les autres jours de l’année.
Bill secoua la tête d’un air las.
— Hier, je n’étais pas le père de l’année. Et j’entends toujours ce coup de feu. Je me revois courir vers le bâtiment, et Lucy allongée par terre, dans une mare de sang.
Riley sentit son propre corps trembler.
Elle aussi ne s’en rappelait que trop bien.
Lucy s’était aventurée dans un bâtiment abandonné, sans savoir qu’elle était en danger. Elle avait été touchée par la balle d’un tireur d’élite. Survenant peu après, Bill avait tiré par erreur sur un jeune homme qui essayait de lui venir en aide. Quand Riley était arrivée, Lucy avait rassemblé ses dernières forces pour abattre le tueur.
Elle était morte peu après.
C’était une scène d’apocalypse.
Riley n’en avait pas souvent vécu de pires dans sa carrière.
Elle dit :
— Je suis arrivée encore plus tard que toi.
— Ouais, mais tu n’as pas tiré sur un gamin innocent.
— Ce n’était pas de ta faute. Il faisait noir. Tu ne pouvais pas savoir. Et puis, le gamin va bien.
Bill secoua la tête. Il leva une main tremblante.
— Regarde-moi. Je te donne vraiment l’impression de pouvoir retourner au travail ?
Riley était presque en colère maintenant. Il avait vraiment mauvaise mine. Il ne ressemblait plus au partenaire courageux et intelligent qu’elle avait appris à connaitre et à qui elle aurait confié sa vie, pas plus qu’à l’homme séduisant qui lui plaisait parfois. Et cet apitoiement sur son sort ne lui allait pas du tout.
Mais elle se rappela sévèrement qu’elle était passée par là.
Je sais ce que c’est.
Et quand elle avait été dans le même état, Bill avait tout fait pour l’en sortir.
Parfois, il avait même été dur avec elle.
Peut-être que c’était ça dont il avait besoin en ce moment.
— Tu as mauvaise mine, dit-elle. Mais la situation dans laquelle tu t’es retrouvé… Tu te l’infliges à toi-même. Et tu es le seul à pouvoir corriger le tir.
Bill la regarda dans les yeux. Elle sentit qu’il l’écoutait.
— Assieds-toi, dit-elle. Reprends-toi.
Bill se redressa en grinçant de tous ses membres et s’assit au bord du lit à côté de Riley.
— On t’a assigné un thérapeute ? demanda-telle.
Bill acquiesça.
— C’est qui ? demanda Riley.
— Peu importe, dit Bill.
— Bien sûr que ça importe, dit Riley. C’est qui ?
Bill ne répondit pas. Mais Riley devina. Le thérapeute de Bill devait être Leonard Ralston, plus connu du grand public sous le nom de Doc Leo. Elle se sentit rougir de colère. Mais ce n’était pas contre Bill.
— C’est pas vrai, dit-elle. On t’a collé Doc Leo. Qui a eu cette idée ? Walder, je parie.
— Peu importe. Je te l’ai déjà dit.
Riley eut envie de le secouer.
— C’est un charlatan, dit-elle. Tu le sais aussi bien que moi. Il aime l’hypnose, les souvenirs qui remontent et toutes ces conneries qui n’ont rien de scientifique. Tu te rappelles l’année dernière, quand il a convaincu un innocent qu’il était coupable de meurtre ? Walder aime Doc Leo parce qu’il écrit des bouquins et qu’on le voit à la télévision.
— Je ne le laisse pas me retourner le cerveau, dit Bill. Je ne le laisse pas m’hypnotiser.
Riley eut du mal à garder son calme.
— Ce n’est pas le problème. Tu as besoin de quelqu’un qui puisse t’aider.
— Qui ça ? demanda Bill.
Riley n’eut même pas besoin d’y réfléchir.
— Je vais te faire du café, dit-elle. Quand je reviens, j’attends de toi que tu sois debout et prêt à partir.
En marchant vers la cuisine de Bill, Riley baissa les yeux vers sa montre. Il ne lui restait pas beaucoup de temps avant de partir. Elle devait se dépêcher.
Elle sortit son téléphone et composa le numéro personnel de Mike Nevins, un psychiatre-légiste de Washington qui travaillait de temps en temps pour le FBI. Riley le considérait comme un ami proche. Il l’avait aidée à traverser des crises par le passé, notamment une terrible phase de SSPT.
Quand le téléphone de Mike commença à sonner, elle mit le sien en mode haut-parleur et le posa sur le plan de travail, pendant qu’elle allumait la cafetière de Bill. Elle fut soulagée que Mike réponde.
— Riley ! Quel plaisir d’avoir de tes nouvelles ! Comment vas-tu ? Et ta petite famille ?
La voix de Mike était très rafraichissante. Elle imagina dans sa tête le petit homme élégant et son visage chaleureux. Elle aurait aimé pouvoir discuter avec lui, mais elle n’avait pas le temps.
— Je vais bien, Mike. Mais je suis pressée. J’ai un avion à prendre. J’aimerais te demander une faveur.
— Vas-y, dit Mike.
— Mon partenaire, Bill Jeffreys, traverse une période difficile après notre dernière affaire.
Elle entendit une véritable inquiétude dans la voix de Mike quand il répondit.
— Oh mince, j’en ai entendu parler. C’est terrible, la mort de votre jeune protégée. C’est vrai que ton partenaire est en arrêt ? J’ai cru comprendre qu’il avait tiré sur la mauvaise cible.
— C’est bien ça. Il a besoin de ton aide. Et il en a besoin tout de suite. Il boit, Mike. Je ne l’avais jamais vu comme ça.
Il y eu un bref silence.
— Je ne suis pas sûr de comprendre, dit Mike. On ne lui a pas donné de thérapeute ?
— Oui, mais il n’aide pas Bill.
Quand Mike répondit, ce fut d’un ton prudent.
— Je ne sais pas, Riley. Je n’aime pas prendre les patients qui sont déjà à la charge de quelqu’un d’autre.
Riley s’inquiéta. Elle n’avait pas le temps d’apaiser les scrupules de Mike et de faire taire son sens de l’éthique.
— Mike, on lui demande de voir Doc Leo.
Un silence passa.
Ça suffira, pensa Riley. Elle savait très bien que Mike méprisait le célèbre thérapeute de tout son cœur.
Enfin, Mike dit :
— Quand est-ce que Bill peut venir ?
— Tout de suite ?
— Je suis dans mon bureau. Je suis occupé les deux prochaines heures, mais je suis libre après ça.
— Super. Il sera là. S’il te plait, dis-moi s’il ne vient pas.
— Pas de problème.
Alors qu’ils raccrochaient, le café frémissait dans la carafe de la cafetière. Riley en versa une tasse et retourna dans la chambre de Bill. Il n’y était pas. Mais la porte de la salle de bain attenante était fermée et Riley entendait ronronner le rasoir électrique de Bill.
Riley frappa à la porte.
— Ouais, je suis habillé, dit Bill.
Riley ouvrit la porte. Bill était en train de se raser. Elle posa la tasse au bord du lavabo.
— Je t’ai pris rendez-vous avec Mike Nevins, dit-elle.
— Pour quand ?
— Tout de suite. Dès que tu peux y aller. Je t’envoie par texto l’adresse de son bureau. Je dois y aller.
Bill eut l’air surpris. Bien sûr, Riley ne lui avait pas dit qu’elle était pressée.
— J’ai une affaire dans l’Iowa, expliqua Riley. L’avion m’attend. Ne manque pas ce rendez-vous. Je le saurai si tu n’y vas pas et ça va barder.
Bill grommela, puis il dit :
— D’accord. J’y vais.
Riley tourna les talons pour s’en aller. Puis elle pensa à quelque chose qu’elle hésita à dire.
Enfin, elle se lança ;
— Bill, Shane Hatcher est toujours en cavale. Il y a des agents tout autour de ma maison. Mais j’ai reçu un texto menaçant de sa part. Personne ne le sait à part toi. Je ne pense pas qu’il s’attaquerait à ma famille, mais je ne peux pas en être sûre. Je me demandais si…
Bill hocha la tête.
— Je vais garder un œil chez toi, dit-il. J’ai besoin de faire quelque chose d’utile.
Riley le prit dans ses bras et quitta l’appartement. Alors qu’elle marchait vers sa voiture, elle regarda l’heure.
Si elle ne tombait pas sur un embouteillage, elle arriverait à temps à l’aéroport.
Maintenant, elle devait penser à sa nouvelle affaire, mais elle n’était pas particulièrement inquiète. Ce ne serait probablement pas long.
Après tout, un meurtre dans une petite ville, cela ne demanderait pas beaucoup d’effort à des agents du FBI.
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